La Presse, 7 juillet 2009
Livre référence:
Une histoire du jazz à Montréal
Quand Montréal était le paradis du jazz…
L’histoire du jazz à Montréal ne se résume pas à celle du plus grand festival de la ville. Quand Alain Simard, André Ménard et Denise McCann ont fondé le Festival international de jazz de Montréal en 1980, le jazz, ici du moins, battait de l’aile, mais pouvait compter sur une tradition vieille de 75 ans.
En 1988, après une recherche rigoureuse menée surtout dans les volumineuses archives de jazz de l’Université Concordia, John Gilmore avait raconté cette magnifique histoire dans Swinging in Paradise – The Story of Jazz in Montreal. Comme son Who’s Who of Jazz in Montreal (1989), John Gilmore a publié cet ouvrage unique chez Vehicule Press, la petite maison du Plateau.
Lux Éditeur, une autre petite maison (du Centre-Sud, elle), a lancé hier à l’Astral la traduction du brillant essai de Gilmore: Une histoire du jazz à Montréal. Pourquoi avoir ignoré le titre plus qu’évocateur de l’original, Swinging in Paradise? À cause de la difficulté de rendre les différents sens du mot «swing» ?
Quoi qu’il en soit, pour les musiciens de jazz, Montréal était un paradis à plus d’un égard. Paradis pour les Noirs, américains et autres, qui n’étaient pas victimes d’une ségrégation aussi systématique qu’aux États-Unis; à Montréal, Noirs et Blancs pouvaient, en certains lieux, jouer dans les mêmes orchestres, ce qui ne se faisait pas là-bas.
Paradis parce que, pendant la prohibition (1920-1933), la métropole fournissait le reste du continent en «fort» et que, malgré les lois restrictives subséquentes, les débrouillards de toutes les couleurs arrivaient toujours à étancher leur soif, avant, pendant ou après le spectacle. Paradis aussi parce qu’à Montréal, «ville de danse», les Noirs pouvaient danser avec les Blanches et (double) vice versa, les Blancs avec les Noires. «Montreal, ooh! lala!»
L’histoire du jazz à Montréal, c’est l’histoire de la musique, bien sûr, du ragtime au free jazz – le livre s’arrête en 1970 – mais c’est surtout l’histoire des musiciens qui la jouaient. Des hommes comme Louis Metcalfe, un ancien trompettiste du Duke Ellington Orchestra qui a dirigé le premier orchestre de be-bop de Montréal (1946), formé exclusivement de musiciens locaux. Le be-pop annonçait la mort du jazz, disaient les puristes de l’époque…
Et que dire du violoniste Willy Girard qui avait quitté la sécurité (relative) de l’OSM pour plonger dans le monde du jazz (avec le band de Metcalfe) où il a dû surmonter un double handicap: linguistique d’abord (il parlait à peine anglais) et musical par le fait qu’il n’existait aucune partition de violon pour les ensembles de jazz.
Malgré certaines erreurs de traduction – cet «Empire-Uni», pour United Kingdom, dans les premières pages nous a fait craindre le pire -, Une histoire du jazz à Montréal s’avère une lecture indispensable pour quiconque s’intéresse à la musique en général et à notre ville en particulier.
UNE HISTOIRE DU JAZZ À MONTRÉAL, John Gilmore, Traduction de Karen Ricard, Lux Éditeur, 411 pages, 39,95 $.
Daniel Lemay, La Presse,
7 juillet 2009