L’Humanité, 29 mars 2010
Livre référence:
Révolutionnaires du Nouveau Monde
Tribune & idées. – HISTOIRE
L’héritage francophone du mouvement ouvrier
Révolutionnaires du Nouveau Monde, une brève histoire du mouvement socialiste francophone aux États-Unis, 1885-1922, de Michel Cordillot, Lux Éditions, 2010, 13 euros.
Alors que les républicains insultent Barack Obama en le traitant de « socialiste », voire de « communiste », combien de Français savent-ils qu’un authentique socialiste, Eugene Debs, a été candidat à la présidence des États-Unis au début du XXe siècle et qu’il a recueilli un million de voix (soit 6 % du vote) en 1912 ? Ceux qui liront ce livre passionnant de Michel Cordillot, écrit dans le prolongement de son ouvrage, la Sociale en Amérique, dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis, 1848-1922, le découvriront ainsi que beaucoup d’autres aspects de l’histoire de l’anarchisme et du socialisme en milieu ouvrier francophone aux États-Unis. Ce livre est un modèle par la façon dont il fait une analyse extrêmement riche de la vie et de l’activité militante de ces ouvriers francophones – c’est-à-dire d’« une minorité à l’intérieur d’une minorité » –, tout en menant une réflexion approfondie sur des problèmes plus larges liés à l’immigration, tels que l’acculturation des immigrés, le maintien et l’évolution de leurs culture et valeurs d’origine. La connaissance exceptionnelle de ces vies d’immigrés permet à l’auteur de présenter d’une façon très vivante les aspects concrets de leur activité militante et les processus complexes en jeu dans la construction de leur identité. Le livre montre le rôle de ces anarchistes et socialistes francophones dans le mouvement socialiste américain, les formes de leur solidarité lors des multiples luttes menées dans les mines de Pennsylvanie et ailleurs, le militantisme obstiné d’un personnage étonnant, Louis Goaziou, qui a réussi à maintenir, pendant près d’un quart de siècle, une presse révolutionnaire d’expression française. Le livre se termine sur le constat d’un paradoxe : ces immigrants « atypiques » qui, pendant des années, ont participé à des luttes pour améliorer la condition des travailleurs, ont par là même accéléré leur américanisation pour entrer en politique. Goaziou est la figure emblématique de cette évolution. Il n’a jamais renié sa culture d’origine et « a pris appui sur des valeurs et des conceptions propres aux milieux francophones radicalisés » pour mener son action. Il a été « le plus américanisé des socialistes francophones », appelé à assumer des responsabilités dans le mouvement ouvrier américain et dans la franc-maçonnerie du droit humain. Mais si, globalement, ces immigrés avaient échoué politiquement, ils ont réussi socialement. « Ils avaient réalisé “le rêve américain” de promotion individuelle qu’ils avaient si farouchement dénoncé. » Le livre de Michel Cordillot est une contribution tout à fait originale aux recherches sur le thème de l’immigration.
Marianne Debouzy, Historienne
L’Humanité, 29 mars 2010