Le Républicain Lorrain, 28 mars 2010
Livre référence:
Les États-Désunis
Histoire
Retour sur crise
La dureté de la crise actuelle éveille notre intérêt pour la précédente, la Grande Dépression des années 1930. Ainsi, Métailié a publié La crise : Amérique 1927-1932, recueil de lettres de Paul Claudel alors ambassadeur de France à Washington. L’éditeur québécois Lux, présent depuis peu sur le marché français, relance, lui, un témoignage qui n’a rien perdu en force ni en virulence : Les États-Désunis, de Vladimir Pozner (1905-1992).
Pozner, élevé entre Paris et Saint-Pétersbourg, a suivi ses parents en France après la Révolution de 1917. Il y a fait connaître les écrivains russes avant d’écrire en français Tolstoï est mort, roman récemment réédité chez Christian Bourgois. Cet ami de Bunuel, Picasso, Prévert fut de tous les combats antifascistes. En littérature, il a pratiqué le va-et-vient entre fiction et reportage, partant du principe que « la réalité a plus de talent que nous ». Il le démontre avec ces Etats-Désunis, patchwork d’interviews, de portraits, de faits divers puisés dans l’actualité de 1936, année où il s’est baladé outre-Atlantique et a posé, partout où ça faisait mal, son regard acéré d’Européen. Misère noire à Harlem, ouvriers du tunnel de Gauley Bridge jetés en pâture à la silicose, détectives de l’agence Pinkerton mouchardant les travailleurs, scandales du procès de Scottsboro et de l’affaire Sacco-Vanzetti, flics aidant les briseurs de grève et massacrant les syndicalistes… La barbarie de l’oppression capitaliste éclate à longueur de pages, ainsi que la mentalité d’un pays qui se veut celui de la liberté mais se voue au « mépris de la légalité, à l’habitude de la violence et au culte de l’argent ». John Dos Passos, questionné par Pozner, voyait les Etats-Unis comme « le berceau même du fascisme », une peste qui n’a pas besoin de chemises brunes et s’accommode très bien du complet-veston. Depuis 1936, l’ american way of life a fait des petits dans le monde entier.
Les Etats-Désunis de Vladimir Pozner (Lux).
Richard SOURGNES, Le Républicain Lorrain, 28 mars 2010