Le singe hurleur, 14 janvier 2011
Livre référence:
Mémoires d’un révolutionnaire 1905-1945
« Mémoire d’un révolutionnaire » de Victor Serge
Après la sortie l’année dernière du livre « Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression » relatant les techniques d’intimidation de l’Okhrana russe, l’intégralité des mémoires d’un révolutionnaire de Victor Serge est enfin disponible chez Lux.
Recouvrant la période 1905 à 1945, le livre se scinde en dix chapitres correspondants à des phases de l’histoire ou de la pensée de Serge. Jean Rière à conserver pour cette édition l’ensemble des éléments supprimés ou modifiés par Serge lui-même, ce dans un soucis de comprendre pleinement son processus d’écriture. Il a également implémenté cette pensée d’une riche annotation explicative et d’un appendice de Victor Serge relatant les raisons de sa rupture avec Trotsky. Rupture qui doit plus d’ailleurs à la dérive de ses adorateurs qu’à lui-même.
Débutant par une rapide description de son apprentissage de révolutionnaire, il livrera ses pensées sur l’évolution du socialisme et sur l’échec de la révolution communiste mondiale, tout en décrivant les principales forces en présence, tentant de mettre à jours les enjeux et stratégies obscures pour la majeure partie des gens. Staline est, pour Serge, « inquiétant et banal comme un poignard du Caucase » (p.116 ).
Ces mémoires, écrites quelques décennies après les faits qu’elles relatent, possèdent à la fois une force historique et un recul visionnaire, formant à partir des expériences passées une réflexion sur la société à venir. Alors que beaucoup l’accuse de trop en dire, lui sait déjà que son travail est une trace nécessaire.
On comprend mieux grâce à Victor Serge les liens entre les groupes communistes internationaux, la complexité de l’application du communisme en Russie (Victor Serge dresse un portrait sans concession de la misère socialiste). On retrouve également son observation sur l’importance de la manipulation politique en temps de crise : « Les nouvelles méthodes de domination de l’esprit des masses reprennent les procédés de la grande publicité commerciale, en y ajoutant, sur un fond irrationnel, une violence forcenée ».(p. 426). Nous sommes alors en pleine montée du nazisme… Et ce que l’on constate, c’est que ces méthodes sont en tout point similaires à celles utilisées aujourd’hui par les politiques au pouvoir…
Véritable passeur, Victor Serge fut également un des rouages fondamental de l’histoire du 20ème Siècle. Ce personnage fut de toutes les batailles socialistes. Belge émigrant en France puis en Russie, avant de revenir dans la vieille Europe occidentale, il adopta de tout temps la plume comme moyen de transmission, traducteur des évolutions fatidiques du monde.
Alors que les socialistes russes sont asphyxiés par la misère, les socialistes occidentaux eux accèdent peu à peu aux plaisirs bourgeois : « Ces richesses à porté de main, sans socialisme, ni plan. C’était crispant. » (p.408)… « Ils allaient à la grande manifestation socialiste et ils ressemblaient aux bourgeois tels que d’après le cinéma l’imagination populaire se la représente en Russie. Pacifiques, contents de leur sorts ; j’entrevoyais que ces ouvriers d’occidents n’éprouvaient plus aucune envie de se battre pour le socialisme ni d’ailleurs pour quoi que ce fût. » (p.409)
Alors que l’antisémitisme s’accroit en France, Victor Serge note avec horreur l’affaiblissement de la volonté même chez les esprits les plus brillants : « Un militant, parlant à un congrès syndicale s’exclamait : « Plutôt la servitude que la mort ! » Je répondais à une institutrice qui défendait devant moi cette thèse de la déchéance : « Mais la servitude, c’est aussi la mort, tandis que le combat, ce n’est que le risque de la mort ». (p. 436)
La défaite des communistes espagnoles marque, selon Serge, un coup fatal pour le communisme mondial et la révolution socialiste, considérée dès lors comme une utopie dangereuse. Le retrait de toute forme d’engagement amène au déni des anciens camarades, et Victor serge lui aussi est traqué, dénoncé et accusé de « préparer un attentat contre le roi des Belges » (p.413). Une vie de fuite et d’engagement dans l’action, exemplaire à plus d’un titre, et portée par une conviction profonde :
« La révolution russe ne peut pas se limiter à un changement de régime politique; elle est, doit être sociale. » (p.87).