l’Humanité, 13 octobre 2011
Livre référence:
L’empire du capital
Une généalogie de l’impérialisme capitaliste
Une traduction attendue des travaux de la chercheuse marxiste Ellen Meiksins Wood sur le développement historique de la domination économique et politique états-unienne.
La traduction par les éditions québécoises Lux de ce livre d’Ellen Meiksins Wood, après la publication de l’Origine du capitalisme, mérite d’être saluée. Encore peu connus en France, ces travaux importants, résolument marxistes, se situent au point de rencontre de l’histoire, de l’économie et l’analyse politique contemporaines. Dans l’Empire du capital, ce sont les questions classiques de l’empire et de l’impérialisme qui sont abordées, de façon à inscrire l’impérialisme contemporain dans une longue histoire tout en le singularisant. En effet, les États-Unis, premier et unique empire capitaliste à ce jour, s’appuient avant tout sur une hégémonie économique et non sur la domination coloniale directe.
Ellen Meiksins Wood insiste tout aussitôt sur l’emploi maintenu de pratiques coercitives de colonisation. Néanmoins, ces pratiques, associées à une conception nouvelle de la propriété capitaliste, visent avant tout l’expansion des impératifs économiques et des « lois du marché ». L’impérialisme américain prend donc le relais de formes antérieures, qu’examine l’ouvrage : empire romain, Chine impériale… Tous ont élaboré leurs visées propres en même temps que leur idéologie, inséparable des rapports de propriété et de leur transformation. Au passage, le livre montre que les théoriciens vont participer directement à ces projets d’expansion, Locke, More, Grotius, Burke, etc., étant des acteurs politiques à part entière, en particulier lorsqu’ils définissent ce qui légitime l’appropriation de la terre et la dépossession, voire l’extermination des populations indigènes.
L’une des thèses centrales de l’auteure est que c’est en Angleterre, et nulle part ailleurs, qu’émerge le capitalisme et que se forme l’impérialisme capitaliste. C’est ce nouvel impérialisme que développeront les États-Unis, répandant partout dans le monde le marché capitaliste et l’exploitation de classe. Pour l’auteure, une telle visée implique le rôle prépondérant des États nations, à l’opposé des thèses qui annoncent ou proclament leur disparition : l’État est la seule institution extra-économique qui demeure nécessaire au capitalisme et qui encadre, autant que faire se peut, les contradictions montantes qui naissent de son expansion universelle.
Loin de toute analyse simpliste, soulignant tendances et contradictions, Ellen Meiksins Wood consacre la fin de son livre à la théorisation de l’impérialisme contemporain, montrant l’importance d’une approche marxiste et la nécessité de son renouvellement en vue, notamment, de rendre compte de la puissance militaire états-unienne et de ses fonctions économiques et politiques. De facture pédagogique, ce petit ouvrage passionnant est un grand livre politique.
Isabelle Garo, philosophe, l’Humanité, 13 octobre 2011