On a toujours tort d’avoir raison trop tôt
Quelle superbe idée d’avoir réédité ces écrits de Charles Gagnon ! Non seulement ils n’ont pas pris une ride, malgré le passage du temps, mais plusieurs pages d’analyse demeurent en avance même sur le temps présent.Au moment où les partis nationalistes montrent plus que jamais les limites de leurs actions, la vision claire de Gagnon qui, sans se laisser prendre aux objections faciles qu’on fait au nationalisme en l’associant directement ou indirectement au racisme, voit pourtant celui-ci comme un accident de parcours dans la voie de la liberté qui ne peut être qu’une question de lutte de classes. Dès 1968, il écrivait que « Le Parti québécois ne fera pas la révolution et on peut même se demander s’il fera l’indépendance ». Voilà ce qui s’appelle avoir raison trop tôt. Mais si nous l’avions vraiment lu à cette époque, combien de temps aurions-nous sauvé !
Pas besoin d’être une Tête à Papineau pour comprendre que son analyse de la Rébellion de 1837-38 nous livre une vision que nous avons refusé de considérer (la fuite précoce des chefs et le nombre étonnant de membres de la bourgeoisie anglophone parmi et surtout à la tête des rebelles) et des analyses de classes qu’a occultées la vision strictement nationaliste qui en est devenue la seule exégèse possible dans une société monolithique.
Le plat de résistance de ce recueil demeure « Feu sur l’Amérique ». D’un point de vue rare chez nous, Gagnon lie les luttes des Québécois à celles de tous les opprimés d’Amérique au lieu de nous isoler pour des raisons linguistiques, comme si nous n’étions pas de ce continent et exploités par les mêmes entreprises et les mêmes capitalistes. En conséquence, la révolution ne saurait être, minimalement, que continentale. De toutes manières, les vrais exploités des Amériques ne parlent-ils pas des langues autres que l’anglais et n’ont-ils pas la peau plus foncée ?
Je suis arrivé, après bien des années, là où il se trouvait en 1966 quand il écrivait : « Si les élections sont une activité propre à la classe dirigeante et à la classe dirigeante seulement, on voit mal comment le peuple arriverait à en faire un moyen d’éliminer la classe dirigeante », ce qui impliquerait que « la disparition de la classe dirigeante signifie évidemment la disparition simultanée des partis politiques électoraux qui représentent les intérêts de cette classe ». Plusieurs militants, comme moi, se sont trompés de cible pendant que Gagnon gardait le cap.
Bref, ce sont des écrits essentiels, d’une excellente qualité d’écriture certes, mais surtout d’une grande clarté d’analyse, de cette clarté à laquelle accèdent ceux qui ne ménagent ni la chèvre du nationalisme ni le chou de l’électoralisme.
Gaétan Breton, À Babord, n°18, février mars 2007