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Photo d'une femme devant un bureau de scrutin.
10 avril 2025

Non, ils ne voteront pas

Exercer son droit de vote est un devoir aux yeux d’une bonne partie de la population. Certains de nos concitoyens choisissent néanmoins une autre voie : exercer leur droit… de ne pas voter. Qu’est-ce qui les a fait décrocher ? Dans la foulée d’un appel à tous lancé au début de la campagne électorale, des lecteurs de La Presse s’expliquent.

 

À chaque nouvelle campagne électorale, Marie-Claude Delisle se pose la question : votera-t-elle ? Chaque fois depuis 10 ans, sa réponse est la même : non, elle n’ira pas glisser un bulletin de vote dans une urne en carton.

Elle juge important de préciser qu’elle s’interroge à toutes les élections, car elle trouve difficile de maintenir une position qu’elle sait impopulaire, surtout lors des campagnes électorales. Son geste ne témoigne pourtant pas d’un manque d’intérêt pour la politique, il est une manifestation concrète de ce que pense cette retraitée de la Montérégie.

« Je suis toujours pour quelque chose, le moins possible contre, explique-t-elle. Quand je vous ai écrit, j’ai voulu présenter ça de manière positive : je n’ai pas dit que je n’allais pas voter, mais que j’exerçais mon droit de m’abstenir. » La nuance est capitale à ses yeux.

Des raisons de ne pas voter

Marie-Claude Delisle ne trouve pas sa place dans les débats politiques actuels où les femmes sont sous-représentées et qui font fi, selon elle, d’un enjeu aussi crucial que l’environnement.

«Je trouve qu’on ne fait pas assez de liens entre les choses. On ne voit pas, semble-t-il, que le capitalisme amène à consommer et que la consommation détruit la planète.»

– Marie-Claude Delisle

Sébastien Riquier, jeune enseignant de 25 ans, a jeté l’éponge après avoir voté à seulement deux élections. Dans sa circonscription, les choses semblent immuables : ses concitoyens élisent systématiquement le candidat libéral à Québec et celui du Bloc québécois à Ottawa. Aucune de ces options ne lui convient. « Mon vote ne compte pas », constate-t-il.

Des raisons de ne pas voter, les lecteurs de La Presse en ont exprimé d’autres. Sans dire clairement qu’il va s’abstenir, André Brunelle s’estime forcé de voter « pour le moins pire des partis » et déplore « les promesses vides de sens ». Nadine refuse quant à elle de cautionner un système où la seule utilité de sa voix est « d’aider une élite de gauche ou de droite à régner sur [sa] vie pendant quatre ans ».

Des gens politisés

« On peut être en désaccord avec les abstentionnistes, évidemment, mais ils ont réfléchi à leur démarche », constate Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM.

Portrait photo de Francis Dupuis-Déri.
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE
Le professeur de science politique à l’UQAM Francis Dupuis-Déri

 

«[Ces abstentionnistes] se posent des questions d’ordre stratégique, ont une pensée politique et ils arrivent par des chemins parfois différents à la conclusion que voter ne sert à rien, que ça équivaut à cautionner un système qui dessert leurs intérêts ou leurs idées.»

– Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM

Les abstentionnistes ne sont pas tous politisés, mais leur choix est souvent motivé par la politique elle-même. Il est par exemple démontré que le taux de participation est faible parmi les populations les plus défavorisées et marginalisées, souligne le politologue, aussi auteur de Nous n’irons plus aux urnes, un plaidoyer pour l’abstention.

Ce n’est pas toujours par manque de connaissance, explique-t-il, en se basant sur des études de terrain, mais parce que ces personnes se savent perdantes à l’avance d’un jeu politique où les partis, malgré leurs promesses, ne font rien pour améliorer leur situation.

Francine Saillant, elle, a cessé d’aller voter il y a 30 ans parce qu’elle n’aime pas le ton des candidats. « Je trouve qu’ils se bitchent tout le temps, dit l’infirmière. Au lieu de se préoccuper de leur campagne, ils cherchent la bête noire chez leurs adversaires. Ils critiquent les autres au lieu de penser de manière constructive, de dire ce qu’ils veulent pour les gens et pour le pays. »

Raccrocher ?

Y a-t-il quelque chose qui pourrait les faire changer d’idée ? Francine Saillant admet qu’elle hésite cette année, entre autres parce qu’elle craint les politiques de Pierre Poilievre. Mais elle ne croit pas qu’elle passera de la pensée aux actes.

Sébastien Riquier, lui, retournerait sans doute aux urnes si des modifications étaient apportées au mode de scrutin, comme l’ont déjà promis, sans le faire, la CAQ au Québec et le Parti libéral au Canada.

«Si on avait un mode de scrutin proportionnel, ça ferait en sorte que ma voix, peu importe le résultat, serait écoutée.»

– Sébastien Riquier

Accorder aux partis un nombre de sièges en fonction du total des suffrages obtenus lui semble une façon plus juste de compter les voix et de refléter la volonté de la population.

L’argument voulant que les élections actuelles soient cruciales en raison de l’état des relations canado-américaines ne fait pas broncher les abstentionnistes interviewés puisqu’aucun d’entre eux n’a le sentiment que sa voix compte.

Leur faire porter le poids des résultats des élections leur semble d’ailleurs mal avisé parce qu’ils ne votent pas, justement. Transposé au monde de l’éducation, dit en substance l’un d’entre eux, ce genre de raisonnement reviendrait à mettre les ratés de l’école sur le dos des décrocheurs.

Voter n’est toutefois pas la seule façon de s’engager politiquement, estime par ailleurs Sébastien Riquier. Comme d’autres lecteurs ayant répondu à l’appel de La Presse, il plaide pour une implication concrète.

« Il y a bien des façons de faire entendre sa voix dans une démocratie : comme faire des pétitions, écrire des lettres ouvertes dans un journal, utiliser les médias sociaux, manifester, faire la grève, énumère-t-il. Je crois qu’il y a d’autres moyens d’être engagé politiquement que de voter une fois tous les quatre ans. »


Alexandre Vigneault, La Presse, 10 avril 2025.

Photo: François Roy. Archives La Presse

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