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Photo d'un drapeau antifasciste.
1 décembre 2024

Le bruit des bottes

Avec la sortie en format poche de son essai, Mark Bray nous permet de plonger au coeur de l’un des mouvements politiques contemporains les plus incompris.

 

Comme le mentionne l’auteur dès le début : « Si seulement ce livre était inutile… » En effet, nous sommes nombreuses et nombreux à sentir le retour d’idées ou de tendances autoritaires dans nos démocraties. Alors que certaines et certains pensent que le fascisme est mort et enterré, le bruit des bottes se fait entendre. Que faire ?

L’essai L’antifascisme : son passé, son présent et son avenir, de Mark Bray, nous invite à mieux cerner cette tradition politique souvent décriée et incomprise. À l’aide de soixante et un entretiens réalisés avec des militantes et militants d’Europe et d’Amérique et d’un panorama historique érudit, cet historien nous fait comprendre les préoccupations actuelles des antifascistes et les réflexions qui sous-tendent leurs actions.

L’antifascisme dans l’histoire

Dans les trois premiers chapitres, nous plongeons dans l’histoire, du début du XXe siècle à nos jours, pour saisir les différentes formes de résistance au fascisme en Occident. À la fois précise et étonnante, cette première partie nous ramène à une histoire oubliée de l’antifascisme. On retourne au coeur de l’Espagne de Franco, de l’Italie de Mussolini et de l’Allemagne d’Hitler pour y voir les oppositions à la montée de ces politiciens fascistes et les erreurs stratégiques qui ont facilité, voire accéléré leur accession au pouvoir, avec les conséquences terribles qui en ont découlé.

Nous suivons ensuite Mark Bray dans la période allant de 1945 à 2003. Cette époque du « plus jamais ça » s’est révélée une grande phase de contestations des groupes d’extrême droite, mais aussi des partis plus organisés qui, comme le Front national en France, sont restés dans le paysage politique et tendent aujourd’hui à être normalisés. Finalement, nous arrivons à notre époque, avec ce que l’auteur nomme la montée des « nazis en costumes ». D’Aube dorée, en Grèce, aux accointances de Trump avec des personnes de l’alt-right, nous constatons que les regroupements d’extrême droite sont de retour dans les différents parlements d’Occident. Bray montre comment les antifascistes répondent à cette résurgence.

Cette introduction à l’évolution des mouvements d’extrême droite et des stratégies de résistance que plusieurs groupuscules ont déployées rend visible la pluralité de ce courant. Cela nous amène à concevoir ce que l’essayiste veut dire par « antifascisme », c’est-à-dire « beaucoup de choses. Mais, au fond, peut-être s’agit-il surtout d’une discussion sur la continuité historique entre les différentes périodes de violence d’extrême droite et les nombreuses formes d’autodéfense collective qui s’y sont opposées partout dans le monde. »

Ce qu’on ne voit pas

Souvent accusés d’être violents, les antifascistes ont mauvaise presse. Mais qui connaît vraiment les personnes qui mettent leur corps et, comme on l’apprend, leur vie en jeu dans certains pays aujourd’hui ? Alors qu’on les montre du doigt, qui a réellement fait l’effort de comprendre ce qui les incite à agir ?

Dans la seconde partie du livre, on retrouve les motivations derrière les actions des militantes et militants. Dans les trois derniers chapitres, Mark Bray expose leur rapport à la liberté d’expression, les différentes stratégies (non) violentes qu’ils utilisent et leur manière de concevoir ce qu’il nomme « l’antifascisme du quotidien ». Cette partie du livre a l’immense mérite d’être limpide : elle nous permet d’adhérer aux propos ou de nous y opposer avec facilité. C’est d’ailleurs dans cette section que la plus grande force de l’ouvrage se révèle. En effet, il y a chez Bray un désir d’aborder de front toutes les questions qui fâchent et de ne rien cacher. Loin de botter en touche, l’écriture plus essayistique de ces chapitres donne un autre souffle à la lecture.

La principale critique que l’on peut formuler est cette rupture que l’on retrouve entre la première et la seconde partie du livre. La première dresse un panorama historique utile pour saisir l’évolution de la pensée antifasciste, et l’auteur y réfère beaucoup par la suite. Cependant, on a l’impression de passer d’un manuel d’histoire à un essai politique, et cette cassure dans le ton se sent dans l’écriture. De plus, les entretiens avec des militantes et militants antifascistes ne sont pas assez mis en valeur, et on a le sentiment que Bray sélectionne un peu les témoignages qui cadrent avec son propos au lieu de décrire la pluralité du mouvement qu’il tente de dépeindre.

Cela dit, ce livre reste un incontournable pour les personnes désirant s’initier à l’antifascisme et une solide introduction à une tendance mal comprise. Il donne également à penser en ces temps aussi difficiles qu’inquiétants dans la sphère politique.


Félix Morin, Lettres québécoises, no 195, 1er décembre 2024

Photo: Mika Baumeister / Unsplash

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