Pierre Bourgault, la biographie
Dans les premiers jours de septembre sortira une biographie de Pierre Bourgault écrite par l’historien et politicologue, Jean-François Nadeau, également directeur des pages culturelles du Devoir. Pour les plus jeunes, Pierre Bourgault, c’est le chroniqueur du Journal de Montréal et à l’émission de Marie-France Bazzo, Indicatif présent, à Radio-Canada. Mais pour l’ensemble du Québec, le journaliste fut d’abord et avant tout le fondateur du Rassemblement pour l’Indépendance de la Nation (RIN), l’ancêtre du Parti québécois, un tribun exceptionnel, un professeur en communication inoubliable, et enfin un brasseur d’idées. Paradoxal, flamboyant, et bien entendu brillant, le petit gars de Cookshire, a été un témoin lucide mais aussi un acteur de l’histoire du Québec des cinquante dernières années.
Vous avez rencontré plusieurs fois Pierre Bourgault, quelles images gardez-vous de lui ?
Je l’ai rencontré quelques fois, comme étudiant d’abord, à la fin des années 80, alors que j’avais fait une entrevue avec lui. Comme nous venions du même village, nous avions quelques souvenirs en commun. Puis, plus tard, quand je travaillais dans l’édition et que j’avais la responsabilité d’éditer son dernier livre. Je devais avec lui faire un choix de ses textes à publier. C’était quelqu’un de très impressionnant, d’une grande vivacité d’esprit, qui savait capter son auditoire, que ce soit une foule, ou simplement quelques invités, et qui avait aussi un grand sens de l’humour. Il jouait souvent au misanthrope, mais au fond il aimait beaucoup que l’on s’intéresse à lui.
Pierre Bourgault a eu un parcours remarquable mais, en même temps, on sent qu’il avait peur d’être pris dans un carcan, de n’avoir plus la même liberté de parole. Une liberté de parole qui lui a coûté d’ailleurs des postes à la radio ou à la presse.
C’était un intellectuel, dans le sens classique du terme. Il s’autorisait à prendre position à partir d’une logique morale tout en conservant un grand sens social. C’était quelqu’un qui était à l’aise avec tout le monde indépendamment de la classe ou du niveau social. Il avait cette facilité et le pouvoir de la langue mais aussi une grande indépendance de pensée. Comme il le disait lui-même : « Il faut cultiver son indignation. » Dans ce sens, il a été un grand provocateur détestant l’hypocrisie de son temps. En tant que journaliste, il a payé chèrement sa liberté de parole. À la fin des années 80, on n’a pas cessé de le contrôler et ses chroniques touchaient beaucoup moins à la politique. Il se contentait de parler de faits de société, de consommation, s’autorisant parfois des pointes contre des hommes politiques, mais on ne cessait de lui rappeler de ne plus parler de certains sujets, comme la sexualité ou sa vie amoureuse. Il faut se rappeler que lors de la tuerie de Polytechnique, au moment des funérailles, il s’en est pris à l’Église catholique, lui reprochant de ne pas s’ouvrir aux femmes, ou demandant aux femmes de ne pas choisir la religion, mais d’aller étudier à Polytechnique. Cela lui coûté son poste à Radio-Canada.
Dans Écrits et Polémiques, un texte m’avait profondément choqué quand Pierre Bourgault affirmait qu’il ne coucherait jamais avec un séropositif, capote ou pas. Il ajoutait que « le condom était une arme ultime et dérisoire ». Nous étions en 1996 et les organismes sida et les médecins se battaient pour faire de la prévention et la promotion du condom. Comment comprendre cette prise de position ?
Je ne fais pas allusion à ce texte dans la biographie, j’aurais peut-être dû. Dans une prochaine réédition, pourquoi pas. Mais ce texte dont vous parlez est représentatif du personnage qui pouvait être totalement contradictoire. Et pas seulement sur les séropositifs. On se souvient qu’il adorait la bicyclette, mais détestait les cyclistes ; la même chose pour les automobiles pour lesquelles il a eu une véritable passion en même temps qu’il vouait une haine aux automobilistes. On pourrait multiplier ce type de contradictions et pas toujours de la meilleure eau. Par exemple, sur la cigarette, dont il disait tout le mal possible mais en concluant qu’il n’arrêterait jamais. Et en même temps, il s’est beaucoup occupé de jeunes délinquants et n’avait pas une attitude de rejet des personnes atteintes du sida.
Tout le monde savait qu’il était homosexuel, mais il n’a jamais pris position sur cette question alors qu’il n’était jamais à cours d’analyse sur tous les autres sujets.
Il n’en a jamais beaucoup parlé. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Il a fait ses études chez les jésuites et il a toute sa vie chercher à se défaire des carcans moraux et religieux. Quand il s’en ouvre dans les années soixante à certains amis, il reçoit le conseil de ne pas en faire état. Et je sais de source sûre que ces premières expériences remontent au moins au Collège. Et puis, comme homme politique, il était impensable qu’il sorte du placard. Il va vivre son homosexualité en parallèle, avec des amours malheureuses d’ailleurs, en raison de la pression sociale. Au début des années quatre-vingts, il en parlera, mais je pense qu’il considérait qu’en temps que personnage public, le dire était déjà un acte presque militant et qu’il n’y avait plus à y revenir. Mais autour de lui, avec ses proches, il n’avait aucune réserve. Je pense aussi que toute sa vie, il a cultivé une certaine marginalité, mais qu’il en souffrait en même temps. En ce sens, sur la fin de sa vie, il me fait penser à Pasolini, à la recherche de bums, de rebelles, pour refuser de vieillir, et pas seulement physiquement mais intellectuellement, pour retrouver dans une jeunesse délinquante celui qu’il avait été, cherchant encore à se libérer de toutes les entraves à sa liberté.
Denis-Daniel Boullé
Fugues, 28 août 2007