Ordures!: un éboueur dévoile les dessous de la ville
Quand la collecte se transforme en récit sous la plume de Simon Paré-Poupart.
Il y a quatre ans, après une journée de vidange harassante, je partageais une cigarette avec un ami dans un parc. « Je crois que je devrais abandonner l’idée d’en faire un article », lui ai-je confié. « Six mois de plus dans ce métier, et j’sens que je pourrais avoir un livre. Le sujet est trop vaste, les personnages trop fucked up. Un simple article suffirait pas. »
Le lendemain, sous une pluie battante à Parc-Ex, j’ai dû affronter une interminable run de compost. Une tabarnak de misère que j’ai interprétée comme un signe. J’ai écourté mon expérience après cinq semaines. De cette aventure est née la série d’articles Journal d’une vidange, souvent considérée comme mon magnum opus. Même après 300 quelques autres publications, je ressens encore cette hantise du one hit wonder.
Aujourd’hui, je rencontre Simon Paré-Poupart dans un café de la rue Beaubien. Celui-ci célèbre la publication de son premier ouvrage, Ordures! Journal d’un vidangeur, chez Lux Éditeur. Je ne cacherai pas une pointe de jalousie — après tout, il a réalisé ce que j’aurais tant voulu accomplir. Mais une part de moi se console : Simon, c’est un vrai. Deux décennies à courir derrière le truck, à plonger dans la crasse du quotidien.
Ce livre, il l’a gagné à la sueur de son front.
Plongée au cœur d’un métier méconnu
Dans un monde où la propreté urbaine est considérée comme un acquis, la collecte des ordures demeure un univers obscur. Peut-être est-ce cette aura de mystère qui a assuré le succès de ma série, et c’est ce même sort que je souhaite à Simon Paré-Poupart, un vétéran qui, en 136 pages percutantes, brise le silence. Ce livre, qui paraîtra le 5 septembre prochain, n’est pas seulement le récit d’une carrière; c’est une plongée intime dans le quotidien d’un métier souvent méprisé, mais pourtant essentiel à notre société moderne.
Face à moi, Simon incarne parfaitement l’ouvrier des déchets : svelte, sans un gramme de graisse superflue, ses muscles sculptés par le labeur quotidien. Il me confie que la publication de son ouvrage est un événement plutôt angoissant.
S’il espère toutefois éveiller les consciences, il insiste sur une chose : « Le respect des travailleurs, c’était vraiment important pour moi. »
Je comprends cette angoisse. C’est la même que j’ai ressentie en publiant ma série.
Les gladiateurs du quotidien
Avec une prose incisive, Paré-Poupart dresse un portrait vibrant de cette armée de héros stakhanovistes composée d’exclus et de marginaux. Il explore les relations complexes entre les différents acteurs de ce milieu, dédiant ses pages les plus savoureuses aux rencontres marquantes avec des personnages aussi singuliers qu’imprévisibles. Parce que dans cet univers, les petites gloires se mêlent souvent aux zones d’ombre.
La hiérarchie sociale place l’éboueur tout en bas de l’échelle urbaine, victime d’une violence symbolique omniprésente. Ce milieu difficile, opéré par des hommes souvent violents, est marqué par une mobilité sociale quasi inexistante, où les femmes sont cruellement absentes. L’écrivain-collecteur n’hésite d’ailleurs pas à dépeindre les éboueurs comme les esclaves modernes d’une société qui préfère détourner le regard.
« Il n’y a pas de scandale dans les vidanges »
Simon Paré-Poupart n’a jamais eu l’intention de mener une enquête journalistique classique. Ce qu’il souhaitait, c’était offrir un regard neuf, de l’intérieur, sur un monde qu’il connaît intimement.
Lors de sa maîtrise, sous la direction d’Alain Deneault, il a rapidement pris conscience de l’originalité de son point de vue.
Mais Alain Deneault lui a ouvert les yeux : « Il m’a fait réaliser que ma perspective était singulière, presque étrangère à mon milieu. Ce que je racontais avait une valeur sociologique, une pertinence que je n’avais pas mesurée. » C’est à ce moment-là que Simon a commencé à nourrir cette idée. Peu à peu, il a réalisé qu’il était prêt à en faire un livre, aussi personnel qu’engagé. Un projet qui a mûri lentement, au fil de quatre longues années de rédaction.
Paré-Poupart dresse un portrait nuancé, mais sans détour de cette industrie. La collecte des ordures, c’est un peu le Far West : un univers peuplé d’humains complexes, régi par une hiérarchie invisible, mais impitoyable. « C’est cet aspect sociologique que je voulais explorer. Autant il faut révéler les travers, car ils sont bien réels, mais aussi célébrer la solidarité unique que je n’ai jamais retrouvée ailleurs », explique-t-il.
Adepte convaincu du freeganisme, il mentionne avec fierté être habillé de la tête aux pieds avec des vêtements trouvés dans les vidanges. « Le stock qu’on trouve, c’est incroyable. »
Une volonté de transparence
« Les ordures n’aiment pas la lumière », suggère l’auteur, soulignant une industrie souvent cachée des regards. Le père de deux enfants critique certaines pratiques des entreprises de gestion des déchets, tout comme le fossé qui sépare les collecteurs des villes et des citoyens.
Son livre, riche en informations, est aussi une réflexion sur la consommation moderne et la responsabilité citoyenne face aux déchets. L’éboueur n’offre pas de réponses simples, mais il ouvre des pistes de réflexion, interpellant autant le lecteur que les décideurs publics.
Ce livre, bien plus qu’un simple témoignage, se veut un appel à porter un regard neuf sur ceux qui, chaque jour, arpentent nos rues pour préserver la propreté de nos vies. Avec une plume empreinte de sensibilité, Ordures! nous rappelle qu’au-delà de chaque sac de poubelle ramassé anonymement, se cache un être humain, avec ses forces, ses faiblesses, et une histoire à raconter.
Une histoire qui mérite d’être entendue.
Jean Bourbeau, Urbania, 4 septembre 2024.
Lisez l’original ici.