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Photo de Catherine Dorion assise dans un fauteuil et tenant un ordinateur sur l'écran duquel on voit une vidéo de Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé.
25 mai 2024

Conseil national: Québec solidaire, toujours solidaire?

Démission, départs, désaveux, désaccords, la route a été cahoteuse ces derniers mois pour Québec solidaire. Le parti retrouvera-t-il la solidarité à Saguenay?

 

« Mes chers amis, je voudrais, ce soir, vous parler de trois choses rapidement : sécurité, solidarité et respectabilité. »

Sachant que je partais pour Saguenay afin de couvrir le conseil national de Québec solidaire, une amie férue d’histoire m’a envoyé une vidéo de 1971 tirée des archives de Radio-Canada où l’on entend Pierre Bourgault critiquer le virage raisonnable que fait le Parti québécois. Il y explique que le PQ doit arrêter de chercher à sécuriser les électeurs, et plutôt chercher à incarner l’idée de liberté, susciter le désir de liberté. Sur les images, on voit la mine excédée de René Lévesque, qui ne cache pas son irritation.

Regarde ça, c’est fou comment ça ressemble au débat qui secoue QS en ce moment, m’écrivait cette amie dans un bref message.

J’ai regardé la vidéo, songeuse, juste avant d’arriver à Limoilou, où habite l’ex-députée Catherine Dorion. Dans sa rue, l’odeur des lilas est prégnante, malgré le temps gris et froid qu’il fait à Québec.

Désillusion

L’automne dernier, au moment où les arbres étaient parés de couleurs, Catherine Dorion sortait un récit sur son passage à l’Assemblée nationale. Depuis, Les têtes brûlées, publié chez Lux Éditeur, est devenu un véritable succès de librairie : 10 000 exemplaires vendus à ce jour. Ces carnets racontent sa désillusion à l’égard de l’institution politique, mais aussi envers son propre parti et son chef parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois.

Je croyais que le plus grand danger était lointain, extérieur : les chroniqueurs de droite, les vieux partis, la finance. Mais sa face la plus redoutable était juste à côté de moi, écrit-elle à la page 284.

Je voulais m’arrêter à Québec et lui parler avant d’arriver à Saguenay, parce que la publication de son livre constitue un jalon important dans le chemin qu’a pris la crise interne qui ébranle les solidarités au sein du parti.

D’emblée, Dorion me montre une vidéo où on voit Gabriel Nadeau-Dubois à côté de Manon Massé en 2018. GND y explique, convaincu, que les mouvements politiques de gauche ne doivent pas se recentrer pour prendre le pouvoir.

C’est ça qui était bandant quand je me suis jointe à l’équipe, me dit-elle devant sa bibliothèque. Ce discours-là me parlait. Lâcher du lest, se rapprocher des mouvements sociaux, imaginer les choses autrement, qu’une solidarité jaillisse du désir de remettre en question le système, faire rêver le monde.

Choix craintif

Dorion faisait d’ailleurs partie de la quarantaine de signataires d’une lettre publiée dans Le Devoir, début mai, pourfendant l’appel au pragmatisme lancé par Gabriel Nadeau-Dubois. Où nous mènera ce choix craintif de se tenir dans les limites du pragmatisme dictées par les élites médiatiques et économiques? Notre ambition est beaucoup plus grande que ça, écrivaient-ils. Une phrase qui n’aurait pas déplu à Pierre Bourgault s’il était encore de ce monde.

Depuis la sortie de son livre, Catherine Dorion prend maintenant du recul, me dit-elle. Elle tâche de se remettre de ce qu’elle a vécu comme une épreuve. Elle a toujours sa carte de membre du parti, mais elle n’ira pas au conseil de Saguenay.

Une autre grande absente de cette réunion de famille sera Émilise Lessard-Therrien. Je lui ai parlé quelques fois avant qu’elle ne prenne sa décision de démissionner de son poste de porte-parole, me raconte Catherine Dorion. Je comprenais qu’elle vivait les mêmes types de frustrations que moi, qu’elle subissait le même rapport de force que moi. Je trouve qu’elle a eu du guts de dénoncer la clique autour de Gabriel, ajoute-t-elle, admirative.

Affaiblissement du féminisme?

J’étais à peine sortie de chez Catherine Dorion pour reprendre la route que mon téléphone a sonné. Encore. J’ai passé une partie de la semaine au téléphone avec des militants, des militantes, des personnages influents du parti, des députés, d’ex-employés et des membres fondateurs pour essayer de comprendre ce que pensaient ceux qui n’ont pas pris la plume, ni pour écrire un livre ni pour publier une lettre dans Le Devoir. Je voulais savoir ce qu’ils pensaient de QS, de ses virages, de son avenir, de son rapport aux femmes.

Une ex-employée me confiait être assez écœurée d’entendre notamment les doléances dénonçant un soi-disant affaiblissement du féminisme à QS. C’est complètement faux de dire que les femmes n’ont pas autant de place que les hommes dans ce parti. J’en ai un peu assez de ce discours de victime. Un parti politique n’est ni un camp de vacances ni un groupe de soutien, me disait-elle.

Certaines disent qu’on invalide la parole des femmes. Eh bien, moi, je me sens invalidée comme femme dans le parti quand j’entends ça. J’ai pris ma place et personne ne m’en a empêchée.

Un autre vieux routier de QS me disait voir dans le livre de Catherine Dorion une vendetta, tout simplement. Elle a déversé son fiel sur Gabriel. D’autres l’ont fait après elle. Elles dénoncent une clique. Quelle clique? Il n’y a pas de clique! C’est de la paranoïa.

Selon lui, le virage proposé par Gabriel Nadeau-Dubois est un dépoussiérage nécessaire. Nos structures de décision sont lourdes, trop lourdes. Ceux qui résistent forment une sorte d’élite militante attachée à nos statuts compliqués et à un programme inapplicable tel quel.

Attristée

Une autre, très fatiguée des luttes intestines, m’explique être attristée du départ d’Émilise Lessard-Therrien, mais rappelle que le parti n’a pas d’argent, pas assez pour être en mesure de lui fournir l’aide qu’elle aurait souhaitée. Personne n’avait de mauvaises intentions là-dedans, me dit-elle. Est-ce que Gabriel est un chaleureux excentrique? Non. Il est comme il est. Mais c’est un maudit bon gars qui est animé par de maudites bonnes idées et intentions, croit-elle.

Un interlocuteur a une vision tout à fait différente de Gabriel Nadeau-Dubois. Il n’est pas généreux, affirme-t-il en parlant du chef parlementaire. Il n’est pas à l’écoute. Il y a de véritables lignes de fracture dans ce parti. Il revient sur l’erreur des taxes orange, la proposition de QS, lors du dernier scrutin, de taxer les gens qui avaient des actifs de plus d’un million de dollars. Cela nous a discrédités en région avec les agriculteurs et a fait sursauter des électeurs qui ont épargné toute leur vie pour acheter un duplex. On peut parler de ça?

Nous arrivons au Cégep de Jonquière vers 17 h, soit à peu près en même temps que Joëlle Saint-Pierre, une bénévole que tout le monde connaît dans le parti. Depuis 2009, Mme Saint-Pierre prépare pendant des semaines des petites douceurs pour les militants. Elle ne rate aucun conseil ni congrès. Elle fait des gâteaux, du sucre à la crème, du fudge, des biscuits. C’est la responsable de la table des desserts.

Dans le stationnement du cégep, sa filleule, Estelle Saint-Pierre, l’aide à sortir les sucreries de sa voiture. Mon job à moi, c’est de les rendre heureux, dit-elle, et en fin de semaine, je vais travailler fort. Sur ces entrefaites, Amir Khadir, qui est là depuis les débuts du parti, salue chaleureusement la bénévole et lui tient la porte. Le sucre que tu nous amènes va nous aider à résoudre nos problèmes, lui dit-il avec affection.

Je demande à l’ex-porte-parole du parti, qui a connu bien d’autres débats au sein de la formation, si Québec solidaire est toujours solidaire. Ben oui. Être solidaire ne veut pas dire éviter les débats.

Voilà, la table est mise. Et au menu de la fin de semaine, il y a fort à parier qu’il n’y aura pas que de petites douceurs.


Émilie Dubreuil, Radio-Canada, 25 mai 2024.

Photo: Radio-Canada / Ivanoh Demers

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