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Détail de la couverture du livre «De l'huile sur le feu».
22 mai 2024

Retour sur une décennie de «guerre contre le terrorisme» de la France en Afrique

Le prochain Dossier Noir co-édité par l’association Survie sort en librairie le 17 mai et revient sur une décennie de « guerre contre le terrorisme » de la France en Afrique.

 

Pour l’auteur Raphaël Granvaud, comme pour beaucoup de militant·e·s de Survie, la construction d’un savoir critique a pour objectif de nourrir le mouvement social et de combattre le néocolonialisme français dans toutes ses dimensions : la Françafrique. Il suffit de lire les premières pages de cet ouvrage pour en percevoir les qualités : une analyse qui s’appuie sur une connaissance nourrie par des années de recherches approfondies, un véritable soin porté à la rigueur de l’argumentaire, et une volonté pédagogique de rendre accessible ce savoir pour en tirer des conséquences politiques.

Que fait l’armée : suite

Cela fait en effet plus de vingt ans que Raphaël Granvaud développe une fine expertise sur la question de savoir : Que fait l’armée française en Afrique ? C’est d’ailleurs le titre de son premier ouvrage paru en 2009. Il avait alors pu analyser les évolutions théoriques et les stratégies mises en place par l’armée française après la fin de la guerre froide pour tenter de relégitimer la présence militaire française en Afrique : développement des capacités africaines, multilatéralisme et orientation régionale plus large. Autant de réformes souvent plus cosmétiques que réellement pratiques. Depuis, s’il a porté son travail sur Areva en Afrique (2012) puis sur L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara (2018), Raphaël Granvaud n’a jamais cessé de scruter les évolutions de la présence de l’armée française sur le continent africain, ses justifications théoriques et surtout ses conséquences pratiques sur les populations et les États concernés par cette politique impériale, France incluse. Une ébauche du travail effectué ici était déjà parue en condensé dans un des chapitres de L’Empire qui ne veut pas mourir, une histoire de la Françafrique, édité en 2021. Avec De l’huile sur le feu, la France et la guerre contre le terrorisme en Afrique, il s’agit de documenter, d’analyser et de combattre la principale forme prise par l’ingérence française en Afrique ces 15 dernières années.

En effet, à partir de 2009, secrètement d’abord, puis massivement à partir de 2013 avec l’opération Serval au Mali, transformée en Barkhane l’année suivante en s’étendant à 5 pays sahéliens, l’armée française s’est déployée au Sahel au nom de la « guerre contre le terrorisme », devenue la principale justification du dispositif militaire français en Afrique. Barkhane est d’ailleurs le plus long et le plus important déploiement de l’armée française depuis la guerre d’Algérie. Raphaël Granvaud aborde la genèse de l’adhésion de la France à l’idéologie de la « Guerre contre le terrorisme », au moment même où les États-Unis en abandonnent la rhétorique (pas la pratique). Puis il démontre point par point en quoi l’ingérence française dans la région a produit des effets contraires aux objectifs recherchés.

Une stratégie contre-productive

En effet, la stratégie française, uniquement sécuritaire, s’est révélée rapidement contre-productive car la situation n’a cessé de se dégrader : progression géographique des groupes djihadistes, multiplications des victimes civiles, etc. Les modalités des interventions françaises et leurs effets concrets sont particulièrement étudiés : les assassinats ciblés, l’utilisation de drones armés, les bavures systématiquement niées, la réhabilitation de la contre-insurrection, le recours à des milices communautaires, l’instrumentalisation de l’aide au développement et un soutien aux pires régimes sous couvert de lutte contre le terrorisme.

La question des effets de la « guerre contre le terrorisme » sur les États africains alliés de la France est aussi posée. En imposant une logique de résolution des conflits essentiellement militaire et sécuritaire, la France a renforcé le pouvoir et l’importance politique des militaires des pays du Sahel. Et l’échec de cette stratégie imposée de manière paternaliste aux États de la région, a eu pour effet de dresser les peuples contre l’ingérence étrangère. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, des militaires putschistes se sont ainsi imposés, profitant de la disgrâce des régimes civils. Une part grandissante des populations de ces pays touchés par les crises à répétition, ont en effet jugé les pouvoirs en place corrompus, incapables d’apporter des réponses à l’insécurité et d’abord soumis aux intérêts des Occidentaux, particulièrement ceux de l’ancienne puissance coloniale.

Un paternalisme incurable

L’ouvrage montre aussi comment l’arrogance et le paternalisme incurable des autorités françaises ont eu pour effet de précipiter les ruptures avec les régimes putschistes comme avec les populations de la région. On pense notamment à la déclaration d’Emmanuel Macron en septembre 2021 : « Ce qu’a dit le Premier ministre malien est inadmissible. C’est une honte. Et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement ». Abdoulaye Maïga venait, à la tribune de l’ONU, de déplorer l’absence de consultation et la décision unilatérale française de se retirer du nord du Mali, et surtout ouvrait la voie à la recherche d’autres partenaires. L’intransigeance de la France à l’égard des autorités maliennes paraissait d’autant plus insupportable que le président français se montrait bien plus accommodant à l’égard de la succession dynastique qui avait lieu au Tchad, alors même que les manifestations de l’opposition démocratique étaient réprimées dans le sang. Le rejet de la politique africaine de la France est ainsi vite devenu un carburant très efficace pour mobiliser les citoyen·ne·s africain·e·s qui veulent en finir avec les mécanismes de domination néocoloniaux comme la tutelle militaire, le franc CFA ou l’ingérence politique.

Malgré ces constats, l’intervention française au Sahel est présentée comme « exemplaire » par les autorités françaises : ni erreur, ni faute, ni crime, ni ingérence. L’opération Barkhane aurait été « un succès » de bout en bout. Ce refrain, repris par tous les ministres et présidents successifs, est assorti d’une grossière réécriture de l’histoire : ce n’est qu’après le départ des troupes françaises du Sahel que les groupes djihadistes auraient repris du poil de la bête. Entre 2013 (début de l’opération Serval) et 2023 (retrait du Niger), les groupes islamistes armés n’ont pourtant pas attendu le retrait des militaires français pour étendre considérablement leur implantation.

Déni persistant

Loin d’en tirer les leçons, les autorités politiques et militaires françaises imputent l’aggravation de la situation à tous les autres acteurs de la « résolution » de la crise : les « partenaires » européens et africains, les Nations Unies, les puissances rivales, les manœuvres informationnelles russes, etc. À les écouter, tout le monde porte une part de responsabilité à l’exception de l’acteur principal de cette guerre. D’ailleurs, si ces événements ont remis en débat l’avenir de tout le dispositif militaire de la France en Afrique, les débats sur la loi de programmation militaire 2024-2030 ont été sans ambiguïté. Si « les forces de présence française en Afrique doivent évoluer, car elles cristallisent aujourd’hui une partie du sentiment antifrançais sur le continent », écrivent les députés, il n’est pas question de renoncer à mener des opérations extérieures : « Les forces prépositionnées […] restent fondamentales pour maintenir notre capacité de projection militaire. » Pas question non plus de « remettre en cause entièrement notre présence militaire en Afrique et, par extension, notre influence sur le continent », estiment les parlementaires.

Une appréciation que les citoyen·ne·s africain·e·s n’entendent pourtant plus tolérer.


Patrice Garesio, Survie, 22 mai 2024.

Lisez l’original ici.

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