«L’Elite cannibale»: la question identitaire instrumentalisée
Dans son nouvel essai, Olufemi O. Taiwo dénonce la manière dont les élites ont utilisé les luttes identitaires à leur profit, les vidant de leur potentiel émancipateur. Il plaide pour une « approche constructive » visant des objectifs clairement définis.
Harvard a récemment vu sa présidente Claudine Gay, la première femme noire à occuper ce poste, poussée à la démission en raison d’accusations de plagiat et de débordements antisémites sur le campus. Plusieurs commentateurs américains l’ont défendue, affirmant que le racisme était seul responsable de son départ. L’intolérance a indéniablement joué un rôle, mais, à travers cette affaire, l’élite américaine témoigne une nouvelle fois de son empressement à réduire le débat à des questions identitaires.
Professeur associé à l’université Georgetown de Washington, Olufemi O. Taiwo propose une critique de ce nouvel antiracisme dans une perspective marxiste, se concentrant sur les relations de pouvoir. Dans L’Elite cannibale (Lux, 2023), un essai remarqué lors de sa parution en 2022 aux Etats-Unis, il met en pièces un discours aujourd’hui prévalent au sein des grandes institutions américaines.
Pour lui, les revendications identitaires ont perdu tout potentiel émancipateur, parce qu’elles ont fait l’objet d’un accaparement par une élite avant tout soucieuse de rester en place. Les manifestations contre les violences policières dont le monde a été témoin en 2020 n’ont réussi qu’à obtenir l’adoption de réponses symboliques.
Le maire de Washington a fait peindre en lettres géantes « Black Lives Matter » face à la Maison Blanche, de grandes institutions, comme la Banque mondiale, ont mis sur pied des groupes de travail, mais rien n’a été fait véritablement pour remédier aux injustices dénoncées.
Bienveillance ambiguë
Olufemi O. Taiwo, philosophe américain d’origine nigériane, s’inspire du contexte postcolonial pour dénoncer cet accaparement dont a fait l’objet le discours identitaire. L’anti-impérialisme a permis à une nouvelle bourgeoisie africaine de s’installer et de pratiquer le néocolonialisme avec l’appui des anciennes puissances. De même, en Amérique l’accaparement est le fait d’« une minorité de privilégiés » qui « détourne des ressources et des institutions potentiellement utiles au plus grand nombre en les mettant au profit de ses propres intérêts et de ses propres objectifs ».
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