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19 juillet 2011

Jean-François Nadeau: À hauteur d’homme

De Bourgault, on retient la complexité et les contradictions d’un intellectuel hors-norme. Dans le cas de Robert Rumilly, c’est la vigueur de la droite nationaliste qui frappe. Avec Adrien Arcand, führer canadien, qui vient de recevoir le prix Richard-Arès du meilleur essai québécois, on s’immisce dans une part sombre de l’histoire canadienne, celle de l’extrême droite des années 30. Trois hommes, trois époques, trois paris audacieux. Pas de doute, Jean-François Nadeau, directeur des pages culturelles du Devoir, compte parmi les plus brillants porte-étendard du genre biographique au Québec. Tour d’horizon.Biographe, Nadeau? «Je suis d’abord un historien», clame-t-il. «De toute façon, un bon biographe doit d’abord être un historien.» Car, oui, pour plonger dans la Rome de Jules César ou le Québec de René Lévesque, il faut savoir interroger une époque.

C’est le hasard qui aura guidé Jean-François Nadeau vers la biographie. Conscient de la popularité du genre, il a vite constaté qu’il pourrait attirer plus facilement les gens vers l’Histoire sous le couvert d’un personnage. «Si mon livre sur Adrien Arcand s’était intitulé Présence de l’extrême droite en Amérique du Nord, 1929-1939, personne ne l’aurait acheté. Pourtant, le sujet aurait été le même», signale-t-il avec justesse.

Jean-François Nadeau a le don de dévoiler les pourtours de personnages fascinants. Pourtant, ce qui l’intéresse d’emblée, c’est ce qui s’agglutine autour d’un phénomène social. «Dans plusieurs biographies, on plaque un contexte autour du personnage, mais cela ressemble davantage à de la sauce sur de la viande», image le biographe. «Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. Je ne veux pas de la sauce sur le personnage, je veux la bête en entier.» Nadeau étudie donc les idées fortes d’une époque et utilise un personnage comme catalyseur. «Les Bourgault, Rumilly ou Arcand m’intéressaient, car ils me permettaient de creuser plus large que leur propre identité. Ils sont les produits de leur époque.»

Selon lui, il est inconcevable, en biographie, de mélanger réel et fiction ou d’inventer du dialogue. Tout doit découler de preuves tangibles. De toute façon, pour Nadeau, le réel est beaucoup plus intéressant que la fiction, citant l’exemple d’un militant nazi prénommé Sévère dans Adrien Arcand: «Comment pourrait-on croire dans une fiction à une histoire pareille? C’est impossible!»

Enquête à temps plein
Tout biographe doit se consacrer à d’intenses périodes de recherche. Il compulse des papiers, repère de nouveaux documents, recueille des témoignages. La préparation de tels ouvrages demande un temps fou, admet Nadeau: «Un historien n’existe pas sans archives. J’y consacre beaucoup, beaucoup d’énergie.» Il peut ainsi passer de longues périodes, jusqu’à douze heures parfois, assis devant les archives, sans bouger. Et, bien que ses trois biographies soient parues en moins de trois ans, l’historien affirme travailler à un rythme lent. Au total, il aura consacré plus de quinze ans à l’écriture de Rumilly – sur qui portait sa thèse de doctorat – et d’Arcand. Deux assistantes de recherche l’ont certes secondé en ce qui concerne Adrien Arcand, mais au final, il a réalisé 95% du travail.

Tôt ou tard, le biographe, quel qu’il soit, doit apprendre à décrocher de son sujet, au risque de laisser de côté des éléments importants. Un exemple: après la sortie d’Adrien Arcand, une dame a contacté le journaliste et lui a annoncé qu’elle possédait le journal personnel du führer canadien. «Elle m’a demandé si ça m’intéressait. J’avais seulement envie de courir dans les librairies et de reprendre tous les exemplaires du livre.»

Il ne faut pas l’oublier, les grands historiens sont aussi des écrivains. Pour Nadeau, le style est primordial: «Plusieurs historiens sont profondément ennuyeux, pourtant, ils ont des informations prodigieuses à partager. Malheureusement, ils ne considèrent pas l’écriture comme une ressource complé-mentaire à leur travail.» L’auteur de Bourgault a cependant eu de grands guides pour l’orienter: son premier patron a été Gaston Miron, et son maître absolu demeure Pierre Vadeboncoeur. «Avec eux, il n’y avait aucun compromis possible sur la langue et le style.», se remémore-t-il. Nadeau a bien appris la leçon.

Dominique Lemieux, Le libraire, 19 juillet 2011

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