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13 février 2012

«Lectures: les comptes rendus», février 2012

Sur Jean-François Nadeau, Adrien Arcand, Fürher canadien, par Éric David.

C’est sans doute un truisme (réducteur mais inévitable) de dire que la conscience collective assimile le fascisme à l’Italie mussolinienne, et le nazisme à l’Allemagne hitlérienne. Pourtant, des ouvrages passés plutôt inaperçus ont démontré que ces idéologies n’étaient pas nécessairement circonscrites à l’aire géographique et l’ère historique européennes. Le livre de Damien Amblard qui a traité d’un « fascisme américain » (Paris, Berg international, 2007) en est un exemple.

Il en est de même de l’ouvrage de l’historien Jean-François Nadeau, Adrien Arcand, führer canadien. Peu connu du public et guère mentionné dans l’historiographie canadienne, l’auteur propose de dresser le portrait d’Adrien Arcand (1899-1967), un personnage politique étonnamment charismatique mais oublié. Au travers de celui-ci, son ambition est ici de rompre une part du silence -gêné- qui règne toujours dans une société canadienne ayant eu une fascination certaine pour le fascisme.

Somme constituée d’une documentation remarquable, le livre se présente sous la forme d’une longue monographie de 400 pages déclinée sur le mode chronologique. Agrémentée d’une iconographie non négligeable, il n’est pas rare de voir au fil des pages des illustrations et des documents photographiques d’époque.

C’est donc une contribution originale extrêmement riche en informations (et anecdotes jusqu’à entrer dans l’intimité de ce « héros-héraut » national-socialiste !) que propose J-F Nadeau. Qui était ce « führer canadien » ? Quel rôle a-t-il joué ? Quelle place a-t-il laissé dans l’histoire (des idées) ?

En préambule, J-F Nadeau soulève une question fort intéressante, peutêtre fondamentale: cette polarisation sur un acteur refoulé dans l’ombre de l’histoire officielle est-elle proportionnelle à l’importance réelle du personnage ? Lucide, l’auteur admet volontiers que « l’attention soutenue pour un sujet peut bien sûr en gonfler la part exacte dans le réel ». Toutefois, à l’inverse, il fait aussi remarquer que celui de « l’oubli quasi systématique d’un sujet peut s’avérer tout aussi regrettable ». Dans l’ensemble, si Arcand reste la colonne vertébrale du livre, il demeure que d’autres éléments viennent donner un aperçu élargissant les perspectives (linguistiques, géopolitiques, culturelles …) sur la société canadienne de l’époque, notamment entre anglophones et francophones.

A ce titre, un premier point peut immédiatement être souligné : le journaliste et polémiste Arcand a une indéfectible fascination pour l’empire britannique, et en particulier pour le monde anglo-saxon auquel il s’identifie pleinement. Développant une pensée qui accepte de se mouler parfaitement dans les formes politiques coloniales de l’Empire britannique, l’avenir du Canada doit, selon lui, être totalement lié à l’Angleterre. C’est si vrai qu’il y a un usage constant de la langue anglaise au sein des organisations dirigées par Arcand, lequel entretient aussi une importante correspondance avec les fascistes anglais (Mosley, Beamish, Domvile).

Mais avant d’être fasciste, Arcand est en premier lieu nationaliste. Cependant, son nationalisme n’est pas qu’affaire culturelle : il relève d’un phénomène viscéral, sanguin. On ne s’étonnera donc pas de voir apparaître, en 1949, le slogan électoral « Le Canada aux canadiens ! ». D’ailleurs, la question de l’immigration (au Canada) ne se pose pas pour Arcand… sauf éventuellement à sélectionner des sujets aryens ! Le racismetient de toute évidence une place de choix dans les perspectives de ce « führer » qui, inquiet de la dégénérescence raciale du monde blanc, se montrera préoccupé, notamment après-guerre, par la forte natalité des noirs aux Etats-Unis.

Si Arcand est nationaliste, c’est sur le mode « impérial ». Bien que sensible aux attentes des canadiens français, il est fermement anti-séparatiste et refuse l’indépendance du Québec. Farouche défenseur de l’unité canadienne, il souhaite un Canada unitaire appartenant à l’Empire anglais et membre du Commonwealth. Pour asseoir ce nationalisme, Arcand met en place des structures aux visées pancanadiennes comme le Parti de l’Unité Nationale du Canada (PUNC), lequel prendra la suite du Parti National Social Chrétien (PNSC) à partir de 1938.Culte de la force et discipline de fer règnent dans ces organisations hiérarchisées où s’adjoint parfois un mouvement paramilitaire. Il est vrai qu’Arcand est aussi officier de réserve et ses légionnaires en « chemises bleues » n’hésitent pas à utiliser le coup de poing.

D’un point de vue sociologique, ses effectifs,presque exclusivement masculins, se recrutent essentiellement au sein du petit monde ouvrier et des classes populaires. Ce sont souvent des travailleurs non spécialisés, des gens du peuple sans grande éducation qui le rejoignent. Usant d’un langage simple et cultivant le style populiste, cet homme à la stature imposante et doté d’une autorité naturelle n’arrivera toutefois pas à attirer à lui la bourgeoisie ou des intellectuels importants. Son combat  électoral vise prioritairement à défendre les petites gens, le petit commerce et les gens de boutiques, même si la thématique du « retour à la terre» et l’exaltation des vertus du monde campagnard s’observent dans son discours.

Apôtre d’une troisième voie fasciste entre et contre le communisme et le libéralisme, l’Etat tout puissant doit être le seul principe d’autorité sociale et d’organisation de la sphère publique. A ce titre, des nationalisations sont d’ailleurs au programme. Si Arcand admire Mussolini et son régime, le fascisme « façon Arcand » se doit néanmoins de s’adapter à chaque pays, sans nécessairement s’aligner stricto sensu sur la version italienne. En fin de compte, les apports du fascisme anglais seront peut-être plus considérables pour lui. En tout cas, très logiquement, Arcand prône la forme corporatiste. Favorable à un Etat corporatif et aux corporations ouvrières, il rejette l’idée de la lutte des classes au profit d’une coopération de classes, sorte de partnership qui, au final, laissera peu de place au syndicalisme.

Pour ce qui est de la sphère institutionnelle, sa position doctrinale est on ne peut plus claire. Sa sainte horreur des idéaux de la Révolution française mène Arcand à défendre le principe de la monarchie héréditaire. Son crédo est royaliste car, pour lui, la forme républicaine ne permet pas l’expression d’une véritable autorité. Antidémocrate, les élections sont en effet un frein à une unité nationale immanente. Catholique sincère tout imprégné de mystique religieuse, il opte donc très naturellement pour un Etat théocratique. Mais par certains côtés, le révolutionnaire Arcand se révèle aussi être conservateur et traditionaliste. Refusant l’avortement et la contraception, il se prononce aussi pour la peine de mort. Pour autant, ce fervent catholique hostile à l’évolutionnisme darwinien sera un proscrit de l’Eglise officielle.

Il est vrai que son antisémitisme,particulièrementvirulent et systématisé jusqu’à la paranoïa, est sans doute un facteur très encombrant pour la hiérarchie catholique. En effet, Arcand adopte un modèle univoque et simpliste d’explication dans lequel le Juif se trouve être le moteur principal, voire exclusif, de la marche du monde et de ses méfaits. Au départ, si son antisémitisme est analysé comme un opportunisme, cette haine se transforme vite en profonde conviction qui voit dans le juif aussi bien les dangers de la finance que ceux du communisme. Devenu doctrinaire, sa judéophobie puisera alors prioritairement dans le vieux fond d’antisémitisme chrétien d’inspiration catholique. Ainsi, ses lectures et préférencessont-elles sans surprise : Léon de Poncins, Julio Meinvielle, Drumont, Drault. Mais aussi les pamphlets de son « ami Céline », les écrits de l’eugéniste Vacher de Lapouge ou ceux du théoricien fasciste américain F-P Yockey viennent compléter l’éventail. Quant à ses mentors politiques, hormis la figure emblématique d’Hitler, le chef phalangiste J-A Primo de Rivera, le rexiste Degrelle et les dictateurs Franco et Salazar font aussi son admiration. On pourrait également référencer, dans des registres plus lointains, les noms de J. de Maistre, d’Alexis Carrel, de l’anglais Toynbee, de l’allemand Spengler, de Disraeli ou du très catholique Berdiaeff. En tout cas, en 1937, Arcand accouche d’une brochure pamphlétaire, La Clé du mystère, laquellereprend la thèse du complot international des juifs formulée déjà dans les Protocoles des Sages de Sion dont il a lu les diverses éditions.

Les fascistes canadiens s’opposèrent farouchement à la guerre et le Canada ne connaîtra pas de campagne d’épuration. Mais Arcand, lui, sera tout de même interné préventivement cinq ans durant le conflit. A sa sortie en 1945, fidèle à lui-même et ne montrant aucun signe de repentance, il recyclera son combat antijuif par le biais du négationnisme, réfutant avec force les crimes du régime hitlérien. Opposé à la création de l’Etat d’Israël, celui qui caressa le rêve de former une coordination internationale de l’extrême-droite, allant de la Suède à l’Italie en passant par l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre ou la France, entretiendra des contacts avec des groupes arabes ou des extrémistes d’Amérique du Sud.

Champion de l’enflure médiatique, ce personnage perçu comme égocentrique et avide de notoriété mourra en 1967 d’un cancer. Détenant une haute opinion de lui-même, Arcand jouera sur le côté sacrificiel de sa personne et tentera d’inscrire son existence dans une martyrologie de l’extrême-droite. Mais au final, tous ces éléments suffisent-ils à répondre à la question sur « l’importance réelle du personnage » ? J-F Nadeau estime, qu’en fin de compte, il est étonnant que l’on ait aussi peu étudié, encore à ce jour, l’univers d’Arcand. C’est maintenant chose faîte.

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Pour citer cet article: Eric David, « Jean-François Nadeau, Adrien Arcand, führer canadien », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2012, mis en ligne le 13 février 2012, consulté le 10 décembre 2015. URL : http://lectures.revues.org/7516

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