Le mouvement communaliste (1870-1871)
Un parcours bibliographique
C’est avec plaisir et reconnaissance que nous publions cette longue étude originale de Claire Auzias sur la Commune de 1870-1871 à l’échelle, non pas du seul Paris, mais du pays entier. Bonne lecture à vous !
Dans ce parcours bibliographique consacré au mouvement communaliste, je souhaiterais revenir sur des faits souvent connus, mais peu valorisés, relatifs à son histoire. Point de découvertes tapageuses donc, mais retour sur une optique occultée jadis, et redevenue pertinente de nos jours. À savoir l’attention portée aux buts politiques fédéralistes, d’une part, au rôle et à l’action des départements de tout le pays, de l’autre. D’où l’accent mis sur l’appellation « mouvement communaliste » et non point « Commune de Paris ». Pour ce faire, j’emprunterai davantage à l’abondante bibliographie existante qu’aux sources d’archives primaires.
Ce mouvement communaliste, on le pressent dans les écrits de Proudhon antérieurs à la Commune elle-même, on le sent dans les écrits de Bakounine de 1870-1871 et dans les activités et proclamations des communards, surtout anti-autoritaires, et dits de la « minorité », dont certains livrèrent ultérieurement leurs analyses ou rédigèrent leurs souvenirs. On le saisit également à travers les nombreuses prises de position en faveur du mouvement communaliste qui essaiment dans tout le pays. Au passage, l’on verra que, si une histoire politique du mouvement communaliste est possible grâce aux documents légués par les acteurs, il n’existe toujours pas d’histoire sociale de la Commune de Paris, à savoir une histoire des anonymes qui l’ont faite et ont combattu pour elle. Commune « de Paris » car, pour les départements, les études sont moins indigentes. On constatera, en effet, à travers quelques exemples, qu’un portrait de la population insurgée se dessine en certains lieux.
« Que Paris fasse dans l’enceinte de ses murs des révolutions. À quoi bon ? Si Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rouen, Lille, Strasbourg, Dijon, etc., si les départements maîtres d’eux-mêmes ne suivent pas, Paris en sera pour ses frais. La fédération devient ainsi le salut du peuple : car elle sauve à la fois, en le divisant, de la tyrannie de ses meneurs et de sa propre folie. » (Du principe fédératif, 1863). Cette triste prophétie de Proudhon trouva hélas sa confirmation moins de dix ans plus tard. C’est ici l’occasion de mettre en lumière un aspect minoré dans l’histoire de la Commune de Paris et du mouvement communaliste, à savoir l’apport culturel et politique que représentèrent les écrits de Proudhon pour une fraction des insurgés – et conséquemment les répliques nombreuses (et malheureuses) que connut le mouvement communaliste en province, mouvement qui, selon l’enseignement de Proudhon, se devait d’être autonome et fédéraliste.
Je puiserai également aux analyses du mouvement communaliste venant d’auteurs, proches ou lointains de l’événement tant dans le temps que dans l’esprit, qui nous fournissent de précieux enseignements.
J’en viendrai, enfin, à ladite Commune de Paris, en la resituant dans l’ensemble des mouvements de solidarité et de complémentarité qui agitèrent la France en 1870 et 1871.
La première idée-force qu’il convient de mettre au jour est celle d’un pays indéniablement fracturé – non pas géographiquement, mais politiquement – par ce mouvement communaliste. Pour en saisir la portée, il existe au moins deux prismes : celui que l’on pourrait qualifier de « républicain » qui se contente d’analyser, sur la durée des événements, les mouvements électoraux et les prises de position qu’ils révéleraient à l’échelle du pays tout entier et celui du « mouvement communaliste » lui-même dont attestent ses prises de position solidaires, ses levées insurrectionnelles, les ralliements qu’il suscita aux processus d’autonomisation et les tentatives de constitution de Communes en maintes villes du pays qu’il favorisa.
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Pour s’extraire un peu de l’événementiel en se plongeant dans une production récente, on lira avec intérêt L’Ivresse des communards, de Mathieu Léonard. « Quelles que soient les nuances autour du roman de l’alcool sous la Commune, écrit l’auteur, il apparaît clairement qu’après 1871, le terme d’alcoolisme va servir de “mot codé” pour discréditer l’irrationalité de la classe ouvrière » (p. 93). Cet ouvrage original examine les usages malveillants de l’argumentaire antialcoolique à l’adresse des combattants de la Commune – tout autant du côté des communards d’ailleurs que des troupes versaillaises. Dans les deux cas, la morale bourgeoise stigmatise un alcoolisme de sous-développés. Si le vin et l’alcool ne sont pas rationnés sous la Commune, et circulent donc largement, leur consommation ne saurait expliquer en rien, s’emploie à démontrer l’auteur, les débordements communards, ni même versaillais. Le tout, en s’appuyant sur de très riches sources secondaires puisées aux souvenirs des témoins de tout bord de l’époque, tant médecins que badauds. Ce regard très spécifique, probablement inspiré des méthodes et des études de Foucault, permet aussi de mettre en relief le rôle des médecins dans la montée d’un ordre moral qui triomphera au lendemain de la Commune. Dans ce dispositif, le corps médical a souvent servi d’agent légitimant les pouvoirs établis en leur offrant un supplément de rationalité et de nécessité. La dernière partie de l’ouvrage traite des suites de la Commune en matière d’hygiénisme et de propagande antialcoolique – thématiques qui prirent essor au lendemain de 1871, et connurent aussi un écho relativement important au sein du mouvement anarchiste de la fin du siècle. Point d’orgue de cet ouvrage : une note infrapaginale nous alerte, p. 235, sur le fait que, « entre septembre 1870 et juin 1871, […] 473 internés [ont trouvé] la mort à l’hôpital Sainte-Anne, principalement pour cause de malnutrition. Les fous viennent en bout de chaîne des bouches à nourrir ». Il faut remercier l’auteur pour cette information dont on n’avait jamais reçu écho dans aucune autre histoire de la commune.
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Lisez l’article complet ici.
Claire Auzias, À contretemps, 11 septembre 2023.
Illustration: Marcos Carrasquer