Fabien Cloutier, le philosophe beauceron
Dans son nouveau recueil de chroniques écrites entre 2018 et 2022, Fabien Cloutier nous propose de replonger, au gré de ses humeurs, dans ces événements qui nous ont parfois fait rager, parfois fait sourire, mais sans jamais nous laisser de glace. Un polaroid d’une époque marquée par la COVID, le capitaine Déneige, la carrière politique d’Anne Casabonne et les bouquins de Pierre-Yves McSween, qu’il égratigne au passage. Gentiment ou avec mordant? On vous laisse le découvrir.
Fabien, peut-on dire qu’aujourd’hui, avec le lancement de L’allégorie du tiroir à ustensiles, tu deviens le premier philosophe «ustensialiste»?
(Rires) Oui, je pense que c’est le bon terme.
Est-ce que tu es un amateur de livres de philosophie?
C’est une matière que j’ai beaucoup aimé étudier, mais je ne lis pas beaucoup de livres depuis quelques années. En fait, l’écriture télé et celle des chroniques me demandent tellement de temps que la détente n’est pas pour moi dans les mots aujourd’hui. Quand j’ai besoin de sortir de cet univers, j’ai plus les mains dans la terre que sur un livre.
Tu parles notamment de toutes ces petites choses qu’on garde chez soi sans se résoudre à s’en débarrasser, comme tes vieux magazines Passe-Partout au fond de ton garde-robe. Pourquoi est-on aussi sentimental devant ces objets?
J’ai l’impression qu’ils nous ramènent à certains moments. On les garde, mais on ne les regarde jamais. C’est comme une espèce d’idée, de souvenir. Je me suis demandé en les voyant si quelqu’un voudrait vraiment de mes vieux magazines de 35 ans avec des barbeaux pis mon nom écrit dessus. Peut-être finalement que le bac de recyclage, c’est la meilleure place pour ces affaires-là!
La pandémie nous a offert une belle occasion de faire le ménage dans tout ça.
Au début de la pandémie d’ailleurs, tout le monde cherchait des émissions de télé à écouter. Moi, je me disais: «OK, mais si on arrive chez vous, on est mieux de ne pas voir de la mousse dans les coins et des tiroirs à l’envers!» C’était un bon moment pour dépoussiérer la maison, mais aussi nos idées.
Tu parles de choses qui, au fond, semblent te choquer, mais avec une certaine distance malgré tout, comme le récent scandale à Hockey Canada et les manifestants qui se croient dans une dictature. L’écriture est une bonne catharsis pour gérer ta colère?
Déjà, quand on écrit une chronique, on a deux, trois jours pour y penser. On a un peu de recul, contrairement aux moments où l’on réagit à chaud, sous le coup de l’émotion. Moi, je laisse l’émotion arriver, je prends le temps de m’assoir un peu et de chercher l’angle, la façon dont je peux parler de l’absurdité de certaines choses. C’est vrai que ça me fait du bien, ce processus-là. Ça me tempère aussi. C’est important de se donner la permission de remettre sa colère en question et de lui trouver une utilité. Le faire peut nous permettre d’aller plus loin.
Comme L’almanach du peuple autrefois, les recueils de chroniques comme le tien deviennent des capsules temporelles. En croisant des mots comme Fortnite, AstraZeneca ou le nom d’Anne Casabonne, on saura dans 100 ans de quelle époque il est question!
(Rires) Ce sont des années qui ont été très bouleversantes, mais oui, on pourra se dire un jour: «Ah, on pensait comme ça en 2019, 2020!»
Comme on le fait en cas d’événements majeurs, à l’exemple du 11 septembre, on peut se demander aujourd’hui si la pandémie nous a changés.
Je pense que oui. Des clans se sont formés avec des gens aux opinions différentes. À une époque, on se donnait des claques sur la gueule à cause de la rivalité Canadiens-Nordiques, mais maintenant, on peut en rire. Les gens étaient soit fédéralistes, soit souverainistes. On n’aurait jamais pensé qu’il y aurait un jour au pouvoir un parti comme la CAQ, qui regroupe, oui, des fédéralistes, mais aussi des souverainistes. Ce qui me donne espoir, c’est que des gens se sont sentis pas mal bousculés, mais des deux côtés. Certains ont vécu de grandes émotions, et j’ai l’impression que c’est le temps de laisser descendre tout ça, d’admettre qu’on a eu des différends et de passer par-dessus. Ça va nous permettre de revenir à quelque chose de plus équilibré.
Tu fais allusion également à des choses anecdotiques qu’on aurait eu peine à imaginer il y a quelques années, comme la claque de Will Smith à Chris Rock lors des Academy Awards. Qu’est-ce que ça dit sur notre époque?
Dans cette affaire, les autorités du gala ont dit: «Nous sommes allées l’avertir, mais il a décidé de rester là.» Or, ce n’est pas à celui qui frappe quelqu’un de décider s’il va rester ou non, ni de faire son discours 20 minutes plus tard en disant: «Oui, mais c’est à cause de ci, de ça…» On parle ici d’une vedette mondiale. À l’extérieur, par sécurité, les fans sont retenus au loin avec des clôtures, mais le danger est venu d’une des vedettes de la soirée. Alors, ça nous amène à nous demander s’il y a une loi différente pour des gens comme ça. Disons que c’en a été une preuve assez éloquente.
Ton identité beauceronne est souvent en trame de fond de ton écriture. Qu’est-ce que c’est, au fond, être Beauceron?
Les Beaucerons sont des gens extrêmement entrepreneurs et indépendants. Ils ont des idées, ils trouvent des solutions rapidement, en plus d’être fonceurs, drôles et vraiment sympathiques. Ce sont aussi des originaux qui peuvent régler les choses très vite et avec débrouillardise. Ça fait longtemps que je suis parti de la Beauce, mais je continue d’y retourner. Les premières années de notre existence sont fondamentales, et je pense avoir hérité d’une part de cette culture. Oui, je suis un artiste, mais un artiste-entrepreneur qui développe ses projets, qui veut décider des choses, prendre les devants et travailler en collaboration. Savoir m’entourer des bonnes personnes pour faire avancer les projets, ça fait partie de cette culture d’entreprise qui me vient de mes racines beauceronnes.
En plus d’être à l’affiche de la nouvelle saison (5) de Léo sur Club illico (saison 4 sur les ondes de TVA), Fabien Cloutier est de retour sur scène avec son nouveau spectacle Délicat, en rodage à travers le Québec. Son livre L’allégorie du tiroir à ustensiles est disponible en ligne et en magasin. Pour plus d’informations, visitez son site: fabiencloutier.com.
Steve Martin, Dernière Heure, vol. 29, no 6, janvier 2022.
Photo : Bruno Petrozza