Artiste engagé
Fabien Cloutier prépare son deuxième one-man-show, Délicat, dont la première aura lieu en mars à Montréal. La dernière saison de sa série Léo sera diffusée à TVA en 2023 et un nouveau livre, L’allégorie du tiroir à ustensiles (Lux Éditeur), recueil de chroniques et de monologues livrés depuis 2018, paraît ce jeudi. Discussion autour de l’humour et ce que signifie l’humour « engagé ».
Marc Cassivi : J’ai lu ton livre d’une traite, avec beaucoup de fous rires, et je me suis dit que ça résumait un peu l’état d’esprit de la pandémie, même s’il y a aussi quelques textes qui la précèdent…
Fabien Cloutier : On a mis les dates, sans commencer à mettre tout ça en contexte : « Vous souvenez-vous comment vous vous sentiez à ce moment-là ? » Il faut faire confiance aux lecteurs. C’est un peu comme un Almanach du peuple (Rires)… Ça nous montre que nos pensées ont évolué à travers tout ça. On est passés par des niveaux de peur extrême et à un moment donné, on a été tannés des gens qui n’étaient pas tannés des mêmes choses que nous, et ça a été extrêmement conflictuel. Peut-être que c’est ça, deux ans plus tard, qui est drôle. De voir à quel point on a été pris dans tout ça.
M. C. : Est-ce que tu as retravaillé des textes ? Parce qu’il y avait des blagues qui vieillissaient moins bien ou bien parce que d’autres jokes te venaient en tête ?
F. C. : Vraiment très, très peu. Il y a des chroniques que j’ai tout simplement enlevées en me disant qu’elles vieillissaient moins bien que d’autres. Quand on se met à beaucoup retravailler les textes, ça ne vaut plus la peine. L’allégorie du tiroir à ustensiles, ça veut dire : « Ramassez-vous ! » Tout le monde se demandait au début de la pandémie : « Qu’est-ce qu’on écoute sur Netflix ? Qu’est-ce qu’on pourrait donc faire ? » C’est là qu’est arrivée l’image. Occupe-toi de tes affaires ! Occupe-toi de ta maison ! Si on va chez vous dans six mois et qu’il y a encore des mousses dans le coin du salon, c’est pas normal. Dépoussière ton existence et en même temps, dépoussière peut-être un peu tes idées !
M. C. : Ton nouveau spectacle s’appelle Délicat. Ce n’est pas le premier mot qui me vient à l’esprit quand je pense à toi. (Rires) Mettons que ça installe le second degré…
F. C. : Un titre de show, c’est une façon de vendre des billets ! Je pensais à plein d’adjectifs qu’on ne dirait pas de moi, et quand ça m’est venu, j’ai trouvé que ça marchait. C’est aussi simple que ça.
M. C. : Quand tu fais un recueil de chroniques et de monologues comme celui-là, il y a un fil conducteur, même si ce sont des textes qui ont été pris à différents moments et qui traitent de différents sujets. Quand tu écris un spectacle, c’est plus le dramaturge qui travaille et c’est moins le chroniqueur ?
F. C. : Quand tu prépares un numéro pour un gala, des fois, c’est plus absurde, plus « une ligne, un punch ». Tu le fais parce qu’il est drôle, point. Il n’y a pas de message. Il ne sert à rien d’autre que ça. Mais quand je prépare un show, rendu aux deux tiers du spectacle, les gens ont tellement compris mon personnage, le deuxième degré ou l’ironie de mes propos, que je peux me permettre d’aborder tel sujet avec tel angle. Ce n’est pas comme le recevoir à frette dans un numéro de gala. Je les ai préparés.
M. C. : Est-ce qu’il y a moins de préparation à faire maintenant que tu es connu ? Tu as fait tes solos (Scotstown et Cranbourne), tu as fait ton premier show d’humour (Assume), tu as écrit pour la télé et tu joues à la télé (Léo). Les gens connaissent mieux ton personnage. Ceux qui arrivent à frette à un show de Fabien Cloutier, ça doit être de plus en plus rare, non ?
F. C. : Oui, mais il y a quand même un niveau de préparation qui est nécessaire. Il faut le faire. Il y a des gens qui connaissent bien plus Léo que moi. Et je suis sûr qu’il y en a qui aiment plus Léo ! Parce que Léo leur ressemble bien plus dans la vie que moi. J’ai besoin de marquer le passage entre les deux. C’est sûr que quand tu jouis d’un certain capital de sympathie, il y a peut-être des sujets que tu peux aborder plus facilement. Mais ça demande un niveau de préparation pour que l’angle soit clair. Moi, je le sais que je suis en train de faire quelque chose qui dépasse ma pensée. Mais c’est quoi les clés qu’il faut que je donne au monde pour que ce soit clair ? Ça dépend des sujets. Des fois, tu te dis : rendu là, s’ils le pognent pas, ils le pogneront jamais !
M. C. : On parle beaucoup du second degré en humour ces temps-ci. Il y a une frontière floue pour plusieurs. Parfois, c’est clairement du second degré, parfois, c’est plus près de la pensée de l’humoriste. Quand je pense à tous les débats sur la rectitude politique et au fameux « on ne peut plus rien dire », je n’ai pas l’impression que tu souffres de ça.
F. C. : Non, non, je ne souffre pas de ça. Est-ce qu’il y a une époque où il s’est déjà dit plus de choses ? Tout se dit. Après ça, dépendamment de ce que tu dis, ça va faire des vagues, ça va être repris, ça va bouger. Mais il y en a des canaux pour parler. Il y a les réseaux sociaux, il y a les podcasts. Les canaux sont nombreux. Dépendamment du sujet dont tu veux parler, dépendamment de ce que tu veux dire profondément, c’est à toi de voir avec quel angle tu l’adaptes, pour que ça se rende au monde. Quand tu vois un spectacle, t’as pas toujours accès au fond de la pensée de l’humoriste comme si tu lui parlais dans la vie. Il y a une part de personnage qui exagère. Cette recherche-là, cette question que peut se poser le public, j’aime m’amuser avec ça ! Mais en humour, on a besoin de développer cette relation complice avec le public. On a besoin de lui faire un sourire des fois, juste pour dire : « Je ne pense pas vraiment ce que je dis ! » Dans un livre, t’en laisses un bout à l’interprétation du monde…
M. C. : Il y a des réflexions dans ton livre sur le contrôle des armes, les vaccins, les conspirationnistes qui disent qu’on vit en dictature, l’environnement… et beaucoup de jokes de caca ! T’es à la fois le dramaturge lauréat d’un prix du Gouverneur général et celui qui parle de Guy, dont les parents ont choisi un prénom court parce qu’il avait pas l’air brillant…
F. C. : Y a toujours quelqu’un qui vient me voir pour me dire qu’il s’appelle Guy ! C’est gratuit… (Rires)
M. C. : Mais c’est drôle en ta… (Rires) Tenter de concilier toutes ces facettes de ta personnalité – le gars de théâtre qui a étudié au Conservatoire, le gars de radio qui fait des chroniques, l’acteur et le scénariste de télé, le stand-up comique –, t’aimes toujours ça ?
F. C. : J’aime le multiplateforme. Il y a des sujets qui s’abordent mieux en blague, il y en a d’autres qui s’abordent mieux en chronique. Il y a des filons que j’ai envie d’explorer dans une pièce de théâtre ou en équipe dans une série. J’aime utiliser plus d’un moyen pour me rendre au monde. Et je n’aime pas l’idée que l’humour – j’aurais envie de dire « engagé » ou « intelligent » – serait donc quelque chose de mieux. Y a du monde qui a besoin de rire. Quand t’as le luxe d’aller voir la misère humaine sur scène, quand t’as le luxe d’aller voir des pièces dark parce que ta vie va assez bien, tant mieux pour toi ! Mais il y a des gens qui n’aiment pas leur job et qui veulent juste entendre des jokes. Je n’en fais pas tant que ça des numéros qui ne sont rien d’autre que des jokes, mais je me suis rendu compte…
M. C. : Qu’ils ont aussi une valeur ? Le travail dans le fond est le même. C’est la tournure de phrase, c’est la force de l’image créée par la langue pour faire rire.
F. C. : Oui. Quelqu’un qui a eu une semaine difficile, ou qui a juste envie d’aller s’asseoir avec son chum ou sa blonde pour passer une soirée et libérer le trop-plein, de revenir à la maison et d’être mieux, ben juste ça, c’est grâce à de l’humour « engagé ». Tu rends quelqu’un mieux. Il va peut-être gueuler moins, il va peut-être chialer moins après ses enfants, il va peut-être être plus fin avec sa blonde, son chum, peu importe. C’est un engagement de faire sourire. Parce que j’arrive du théâtre, c’est comme si on voulait que je dise que mon humour est plus fin. Non. Je ne me mettrai pas sur un piédestal parce que j’ai aussi fait du théâtre. S’installer devant du monde et les faire rire sonore, c’est de la job !
Marc Cassivi, La Presse, 15 novembre 2022.
Photo: Alain Roberge / Archives La Presse
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