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27 octobre 2022

L’ivresse des communards dans Mediapart

C’est bien connu : la pauvreté est la funeste conséquence de l’imprévoyance des classes populaires ; imprévoyance qui provoque inévitablement des désordres sociaux. C’est sur cette vieille antienne que Mathieu Léonard a construit son livre…

 

C’est bien connu : la pauvreté est la funeste conséquence de l’imprévoyance des classes populaires ; imprévoyance qui provoque inévitablement des désordres sociaux. C’est sur cette vieille antienne que Mathieu Léonard a construit son livre L’ivresse des communards. Prophylaxie antialcoolique et discours de classes (1871-1914).

Ivrogne et paresseuse, entourée de pétroleuses et de filles soumises, de « l’affreuse vermine que l’on nomme la cocotte de bas-étage », voici à quoi ressemblait la masse des communards sortis des cabarets et partis à l’assaut du ciel au printemps 1871. Comment s’étonner des pillages, des meurtres, de la destruction de monuments nationaux, des incendies ? Désinhibée par l’abus de vinasse et de liqueurs, la masse, crédule, faible d’esprit, en un mot dégénérée, ne pouvait que se vautrer dans la luxure et faire parler ses bas instincts.

Discours classiques portés par la bonne société, les littérateurs comme les médecins, dont beaucoup partagent l’avis d’un de leurs confrères : « Il n’y avait chez les [communards] que des ambitieux, que des orgueilleux, des pervers et des pervertis, de toute espèce, de la pire espèce principalement, tous plus ou moins alcoolisés ». Mais les communards, eux-mêmes, ceux qui ont en charge la défense du Paris assiégé, s’inquiètent tout autant de l’état sanitaire de leurs camarades de barricades. La Commune promulgue plusieurs décrets afin de discipliner la Garde nationale et que la sobriété y règne. Les communards doivent être irréprochables ou, plutôt, à la hauteur des idéaux qu’ils professent !

Une fois les communards fusillés ou exilés, que faire ? Comment moraliser ce peuple ataviquement porté aux abus ? Faut-il fermer les cabarets, faire la chasse aux bouilleurs de cru, en finir avec la tradition ouvrière de la Saint-Lundi qui voit les ouvriers déserter les ateliers et hanter les tavernes… tout cela sans se mettre à dos tous ceux qui vivent de l’alcool ? L’enjeu est d’importance : en finir avec l’alcoolisme ouvrier, c’est également en finir avec « le socialisme destructeur », avec cette « égalité chimérique promise par des rêveurs ou des charlatans », derrière lesquels évidemment se cache, pour certains comme Edouard Drumont, le Juif, ce « chimpanzé circoncis ».

Pour le mouvement syndical, pour nombre de militants révolutionnaires, notamment anarchistes, l’ambition est autre. Si le peuple boit, c’est pour oublier ses conditions de travail et de logement. Comme l’écrit la Doctoresse libertaire Madeleine Pelletier, « comment espérer faire comprendre le socialisme à des gens qui sont toujours à moitié ivres ? » Il faut donc sortir le prolétariat des « assommoirs » qu’il fréquente, condition pour en faire un travailleur conscient ou, plutôt, un individu émancipé, car le courant anarchiste individualiste est particulièrement en pointe dans ce combat, n’hésitant pas à faire sien certains discours eugénistes qui l’amène d’ailleurs à promouvoir la contraception comme moyen pour régénérer la population française.

L’étude de Mathieu Léonard se clôt en 1914, mais en conclusion, il souligne judicieusement que durant le mouvement des Gilets jaunes certains préfets ont interdit ou restreint la vente d’alcool…

[Version audio disponible ici]

Christophe Patillon, Mediapart, 27 octobre 2022.

Photo: Sawinery Woodworking.

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