Une philosophie du désir d’argent
Résumé
Le désir d’argent provient-il d’une nécessité – qu’elle soit sociale ou rationnelle – ou d’une pulsion beaucoup plus profonde ?
André Orléan (Économiste, directeur d’études à l’EHESS), Alain Deneault (philosophe et professeur à l’Université de Moncton au Canada).
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Le phénomène monétaire est au cœur des sociétés humaines, comme une sorte de contrat social fondamental. Il provient d’un processus de valorisation et d’une convention commune par laquelle une communauté d’individus s’accorde autour de l’argent comme signe de la valeur des choses. L’argent devient alors un signe, une sorte de langage qui permet de faire des liens entre les objets et de s’entendre sur une échelle de valeur. Dès lors, par son caractère référentiel, l’argent acquiert une valeur. Il est alors désiré par les individus à plusieurs égards. Tout d’abord car il ouvre la possibilité d’acquérir des biens : l’argent est alors désiré pour ce qu’il permet et pour ce qu’il procure. On est encore à ce niveau dans un désir d’argent très utilitaire et très rationnel, qui caractérise l’homo oeconomicus de la théorie classique.
D’où vient le désir d’argent ? Institution, rationalité et pulsion
Selon André Orléan « l’argent c’est le pouvoir sur autrui. C’est un pouvoir d’acheter, une position dans laquelle vous pouvez acquérir les biens d’autrui. Il s’agit donc d’un lien social, et sans ce lien, il n’y aurait pas de société marchande. Pour que l’économie marchande existe, il faut qu’il y ait une référence commune, un langage commun et un lien entre les individus. C’est cette idée de que l’économie orthodoxe a beaucoup de mal à comprendre, parce qu’elle conçoit l’économie comme une collection d’individus« . Alain Deneault complète « le philosophe Georg Simmel amorce sa pensée en présentant l’argent dans son principe, principe un peu vulgaire, comme n’ayant pas de valeur en lui-même et comme étant un faire-valoir, un média. Ce qui explique son évolution, c’est sa prolifique efficacité, on pourrait dire que l’argent est notre plus vieil ordinateur, car il permet de penser la relation de faits de valeurs, d’éléments précieux, en tant qu’ils sont hétérogènes« .
L’argent comme désir absolu : les dérives du désir
La dimension mimétique du désir est sous-estimée par les néo-classiques, André Orléan explique « ce que dit René Girard c’est que ce n’est pas dans les individus, mais c’est dans la relation des individus avec autrui que se trouve le sens et la finalité. Ce n’est pas vraiment l’objet lui-même qui est en cause, mais les rivalités entre les individus« . Par ailleurs, selon Alain Deneault « Georg Simmel s’intéresse à toute une série de pathologies liées à la culture de l’argent et pas seulement l’avarice. A partir du moment où l’argent devient une concentration de la valeur dans les imaginaires et sur un mode mimétique ; On voit la figure du dilapidateur, du cupide, du désabusé ou du cynique« .
Bibliographie
André Orléan : L’empire de la valeur : refonder l’économie , 2011, Seuil
Alain Deneault : L’économie psychique, Lux Editeur, Montréal, 2021
Georg Simmel : Sur la psychologie de l’argent, traduit par Alain Deneault, Allia, 2019
Georg Simmel : Philosophie de l’argent, PUF, 2014
Entendez-vous l’éco?, France Culture, 10 octobre 2022.
Image: Allégorie des richesses, tableau de Perre, Christian van den (1567-1600), collection du Musée Szepmuveszet, Budapest ©Getty – Fine Art Images/Heritage
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