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29 septembre 2022

«Un état des lieux implacable»

Depuis l’indépendance de ses ex-colonies d’Afrique subsaharienne et leur accession à la souveraineté dans les années 1960, l’administration française semble occuper une place importante dans leurs destinées, par l’intermédiaire de ses ambassadeurs. Corruption, négligence, racisme, l’enquête de Michael Pauron dévoile des liens de dépendance et d’ingérence, hérités de la colonisation.

Extrêmement documenté, cet ouvrage fourmille d’exemples : soutien aux dirigeants en place ou aux rebelles, selon les cas et les situations, comme en Côte d’Ivoire en 2011, où, de l’aveu même de l’ancien président Sarkozy : « On a sorti Laurent Gbagbo, on a installé Alassane Ouattara, sans aucune polémique, sans rien. », mais aussi au Gabon dès 1965, au Rwanda en 1994, au Sénégal en 2012. Si certains observateurs notent une impression de « désengagement », celle-ci cache en réalité « une adaptation permanente de la relation diplomatique, économique et militaire au contexte géopolitique du moment ». « Selon le chercheur François Gaulme, les habitudes sont structurelles, elles perdurent et dénotent une certaine forme de résilience. Les changements sont cosmétiques. » Cependant, « par excès de confiance et manque de vision », la diplomatie française paye aujourd’hui le prix de son inconséquence, alors que d’autres puissances nourrissent des ambitions en Afrique (Russie, Chine, Turquie). Au Mali, avec l’opération Serval, puis Barkhane, c’est  la doctrine militaire qui l’emporte, au mépris des problématiques socioéconomique locales. Aussi, les critiques contre la politique française en Afrique de l’Ouest et centrale, se multiplient, renforcées par la propagande russe accompagnant l’intervention de la société militaire privée Wagner, dont le chef est un proche de Vladimir Poutine, à tel point qu’au contraire du devoir de réserve qui avait jusque-là prévalu, les ambassadeurs sont désormais autorisé à réagir aux « infox antifrançaises ». Mais ce changement de méthode a encore renforcé le sentiment d’une France plus que jamais impliquée dans les affaires de ses anciennes colonies.

Les parcours de nombre de figures d’hier et d’aujourd’hui sont évoqués, ceux qui, avec les réseaux Foccart, ont veillé à la « transition » et « posé les fondations pour que rien ne change », comme ceux qui veillent maintenant à la continuité : Michel Delauney, Michel Luven, Jean-Marc Simon,… Leurs autobiographies sont soigneusement analysées, confrontées à la réalité pour rétablir les faits dans l’intégralité de leur contexte et permettre de saisir le regard que portent leurs auteurs sur un continent bien souvent essentialisé selon une vision directement héritée du colonialisme. Les frasques de quelques uns d’entre eux sont rappelées, ainsi que l’impunité dont bénéficie les responsables. Le « pantouflage » de diplomates, utilisant leur carnet d’adresses à des fins privées, de consulting notamment, après leur carrière publique, est loin d’être rare. Un « bureau de la mobilité », créé en 2008 au sein du ministère des Affaires étrangères, a en quelque sorte « institutionnalisé » ce mélange des genres.

Le patrimoine diplomatique est présenté, bâtit au moment des indépendances lorsqu’il fallut céder les palais des gouverneurs dont beaucoup devinrent les palais présidentiels : « trésors couteux érigés dans des pays où les revenus par habitant sont parmi les plus faibles du monde », selon la Banque mondiale, entreprise de domination culturelle censée contribuer à l’affirmation de la présence française, symbole d’un « empire qui ne veut pas mourir ». Si les dépenses de fonctionnement ne sont pas disponibles poste par poste, les chiffres globaux permettent d’estimer des budgets très importants.

Plusieurs chapitres sont consacrés au « business en or » des politiques migratoires, en particulier avec la privatisation des demandes de visa, favorisée par Michel Dejaegher qui a piloté pour la France les négociations Shengen pour les rendre légalement possibles, avant de créer sa propre entreprise. Or cette activité administrative était l’une des rares a être rentable, avec un bénéfice de l’ordre de 25 %, selon un rapport de la Cour des Comptes de 2017, en hausse constante.

Un état des lieux implacable du réseau des ambassades françaises en Afrique, comme moyen de préservation des rapports coloniaux.

Ernest London, Bibliothèque Fahrenheit 451, 29 septembre 2022.

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