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14 juillet 2022

Mélanges littéraires et philosophiques

J’emprunte à Denis Diderot (1713-1784), encyclopédiste protégé de Catherine de Russie, le titre de le recension de Sale temps : chroniques du nouveau monde (Lux, 2022), un recueil d’articles, certains parus dans Le Devoir ou Lettres québécoises («L’arme de Ferron»), que l’historien et journaliste Jean-François Nadeau a actualisés, y ajoutant plusieurs billets d’opinion originaux.

Les 52 textes du livres ratissent diversement le champ des préoccupations sociales récurrentes qui, selon l’auteur, accablent les populations occidentales du 21e siècle. De plus, conscient de l’éphémère des articles d’un périodique, Nadeau a peaufiné ses textes pour leur passage dans la permanence d’un livre. Quant à l’aspect philosophique, il provient du travail d’écriture qui permet de développer la pensée initiale en une réflexion pérennisée.

Le long texte éponyme «Sale temps» jette les bases d’un ensemble d’observations, d’analyses et de mises en perspective que l’écrivain développe sans filtre. L’expression «sale temps» évoque de prime abord «le temps qu’il fait sur mon pays», une obsession bien de chez nous. Ce n’est pas ce qui préoccupe le journaliste pour qui le mot «temps» fait écho à notre époque: «Ce que nous appelons “temps” est un espace de références balisées par un groupe d’humains qui en reconnaît la valeur, grâce à des bornes temporelles par lesquelles on situe des actions à venir, dans un continuum évolutif où existe une volonté de se coordonner, dans un souci d’intégration à un ensemble.»

La relativité de la notion de temps, et de sa valeur dépend de la société où nous évoluons, allant du temps solaire au temps de Greenwich, en passant par l’ensemble des mesures du quotidien selon les civilisations, les époques et les activités pratiquées. L’image ici martelée est celle de la montre qui fut longtemps un signe de richesse pour les uns et un bracelet de contrainte pour les autres. Ultimement, la montre offerte aux employés partant à la retraite était la caricature de leurs années «d’entravaillement».

J’ai aimé la dialectique développée dans «Les rois nus», l’historien se faisant pamphlétaire en caricaturant le dicton voulant que «l’habit de fait pas le moine». Il y a là de l’ironie que J.-F. Nadeau maîtrise et qui lui sert à lier des faits ou des analyses dont l’austérité pourrait relativiser l’importance. «Kébëc» est une perle du genre raillant la «scandinavisation» snobinarde des bobos de le présente décennie. «Ces deux petits points ne sont-ils pas le symbole d’une figure étrange de l’aliénation culturelle?»

Que dire de l’omniprésence du numérique que «Des temps meilleurs» développe? «En fixant son attention sur l’appareil électronique plutôt que sur l’esprit social qu’il sert à charrier, on fait trop facilement l’économie de se questionner sur la société que dessine la Silicon Valley avec ses supposées avancées.»

L’impression générale qui se dégage du recueil est celle d’une mise au banc des accusés de la société capitaliste et de l’individualisme dans lequel les sociétés occidentales évoluent en imposant ses diktats à leurs citoyens. Le ton du discours littéraires de J.-F. Nadeau m’a souvent rappelé celui du pamphlétaire Arthur Buies (1840-1901). Qui se souvient du pamphlet, cet «écrit satirique et violent, généralement court»?

Sale temps remet en question le contrat social régi par la productivité du toujours plus et son corollaire de la consommation outrancière. L’auteur évoque l’expression «revenir au temps d’avant la pandémie» devenue une comptine populacière comme si le virus avait effacé tout ce que nous reprochions au pire de note vie d’avant. L’épidémie a duré suffisamment – et n’est d’ailleurs pas disparue en cette mi-juillet 2022 – pour être considérée comme une véritable arrêt. Que ferons-nous alors des lendemains?

Jean-François Crépeau, Le Canada français, 14 juillet 2022.

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