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Détail de la couverture du livre «L'ivresse des communards».
18 mai 2022

La croisade contre l’alcool

Après le cent-cinquantième anniversaire de la Commune de Paris, Mathieu Léonard interroge les témoins de l’événement (médecins, journalistes, écrivains, militaires, communards) sous l’angle singulier du rapport à l’alcool. Et là, la Commune semble prise de boisson.

Il faut dire que « l’environnement » était favorable : le second Empire plus « libéral » avait multiplié les débits de boisson ; les vins et spiritueux ne manquaient pas, même pendant le siège ; enfin, le contexte psychologique (guerre de siège) favorisant l’exaspération des passions et l’attente anxieuse poussait à boire les plus fragiles.

La Commune est souvent présentée comme une « orgie alcoolique », une « bacchanale » sans frein, une « saturnale » monumentale, qui ne respecte ni les hommes, ni Dieu. Tout ce que la société compte de plumes conservatrices ou réactionnaires (de Maxime du Camp à l’aliéniste Brière de Boismont) souligne l’indiscipline, la violence des fédérés, la folie même de leur révolution.

Et cette littérature nauséabondante se prolonge une quarantaine d’années (Lucien Nass, Le Siège de Paris et la Commune. Essai de pathologie historique, Plon, 1914). L’objectif semble évident : discréditer le mouvement socialiste ; justifier la férocité de la répression versaillaise. Bref, elle construit une justice de classe. La loi de 1873 sur la « répression de l’ivresse publique et manifeste » marque l’introduction dans le droit pénal français d’un délit nouveau, concernant les comportements : il est interdit d’ivrogner dans l’espace public, et de pousser à boire un homme ivre.

Ce qui est bien mis en valeur par Mathieu Léonard, c’est aussi l’incapacité des « gens de gauche » à contrer cette offensive disqualifiante. Certes, la plupart des leaders sont arrêtés ou longtemps en exil comme Benoït Malon. Sur la question du trop-boire, ils adoptent souvent même des positions proches de leurs adversaires. Le jeune journaliste du Sémaphore de Marseille, Émile Zola, voit ainsi des « cadavres […] jetés dans les coins, se décomposant avec une rapidité étonnante, due sans doute à l’ivresse dans lequel ces hommes ont été frappés ». La voie de la « dégénérescence alcoolique » des Rougon Macquart semble alors ouverte. Le déclin français serait-il en marche ? L’antialcoolisme (Société française de Tempérance dès 1872) y trouve sa vigueur et son action dans tous les secteurs de l’hygiénisme.

Dans la question de l’antialcoolisme de gauche, l’étude de Mathieu Léonard des courants anarchistes est vraiment novatrice. Il interroge la question de l’alcoolisme comme « ennemi du prolétariat » et de la tentation eugéniste du néomalthusianisme. Tandis que le Parti ouvrier français de Jules Guesde continue à défendre un droit de boire pour la classe ouvrière, les libertaires et anarcho-syndicalistes prennent à leur compte une « croisade contre l’alcool » : la révolution doit se faire sobre. Une Fédération ouvrière antialcoolique, dirigée par le militant CGT Eugène Quillent, compte même 16 000 membres en 1914 ; elle est très ouvertement encouragée par « l’apôtre de l’abstinence », le docteur Legrain.

L’Histoire, 18 mai 2022.

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