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17 janvier 2022

La pierre angulaire de l’anarchisme

Quelle énergie ! Quelle femme ! Quel personnage ! Le lecteur sera fasciné par Emma Goldman et par l’actualité de ses propos. Que ce soit en matière de liberté, de justice sociale, du statut de la femme, d’éducation, ses prises de position ont souvent « indisposé » les pouvoirs publics et les réactionnaires de tout poil. Il fallait la relire. Aussi les éditions Lux ont choisi de regrouper des textes inédits de cette militante infatigable dans un recueil intitulé La liberté ou rien.

Emma Goldman, nous la connaissons bien, surtout depuis la publication en 2018 de ses mémoires, Vivre ma vie aux éditions de l’échappée. L’intérêt du livre La liberté ou rien réside dans la mise en perspective thématique de ses analyses. Elle devint anarchiste en suivant le scandaleux procès des syndicalistes anarchistes de Chicago accusés d’avoir fomenté un attentat en 1886 qui se révéla des années plus tard être une provocation de la police. Elle en ressentit une profonde aversion à l’égard de la justice et des institutions coercitives. Considérée comme « l’une des femmes les plus dangereuses d’Amérique » selon le FBI, elle connut la prison pour « incitation à l’émeute » … Ses combats la portent à soutenir les catégories défavorisées, les prostituées, les homosexuels, les noirs américains ce qui n’était pas le cas de toutes sensibilités de gauche aux Etats-Unis à son époque. « Le Noir est autant un esclave aujourd’hui que dans les jours lointains, et même plus ostracisé socialement et exploité économiquement. »

Une femme volontaire au front des luttes sociales

Son style est direct, polémique et parfois ironique et sans jargon. Elle mentionne ses sources et ses références telles que Pierre Kropotkine, Voltairine de Cleyre, Kate Austin. Nous pourrions aussi établir le lien avec Louise Michel, une femme volontaire, qui argumente, qui est au front des luttes sociales avec un talent oratoire qui enflamme l’auditoire.

Pour elle, l’anarchisme, « c’est une protestation éloquente de pur militantisme. C’est une force tellement inébranlable, persuasive et pénétrante qu’elle a réussi à repousser l’assaut le plus soutenu et à faire face aux critiques […] Les anarchistes ne sont pas des spectateurs passifs de l’évolution de la société. » Le premier texte expose en sept points l’essentiel de son combat pour traiter de « ce que je crois ». Il faut le comparer au dernier article du livre « Ma vie valait-elle la peine d’être vécue ? » où elle défend son amour pour la liberté. « Mes idées restent inébranlables malgré l’engouement actuel pour l’homme fort, les États totalitaires ou la dictature de gauche. […] Si je devais recommencer ma vie, j’aimerais comme tout le monde changer quelques menus détails. Mais, pour ce qui est de mes actions les plus importantes et de mes positions, je referais ma vie comme je l’ai vécue. J’œuvrerai assurément pour l’anarchisme avec la même dévotion et la même confiance quant à son ultime triomphe. » Pour qui a des moments de doute en nos temps compliqués, lire de tels propos est particulièrement réconfortant et mobilisateur.

Certains textes sont intéressants pour comprendre des moments historiques et des comportements, il en est ainsi de celui intitulé « La psychologie de la violence politique » qu’elle justifie par la violence des rapports de classes sociales en s’appuyant sur des exemples comme évidemment Alexandre Berkman, son compagnon, auteur d’une tentative d’assassinat de l’industriel Frick aux méthodes particulièrement violentes à l’encontre des ouvriers.

L’émancipation de la femme

D’autres points font écho comme sa condamnation du patriotisme, antichambre de la guerre, la prison qualifiée de crime social et considérée comme un échec, le syndicalisme révolutionnaire, une menace pour le capitalisme. Son analyse de l’athéisme est intéressante, mais ce qui ressort dans une lecture en 2022, c’est sans doute la lucidité et l’intelligence de ses propos à l’égard du statut de la femme dans la société et des relations amoureuses. « La réclamation de droits égaux dans tous les domaines de la vie est juste et équitable, mais le droit le plus vital reste somme toute d’aimer et d’être aimée. » Dans la même lignée que Louise Michel et Kate Austin, elle affirme qu’il « faudra rejeter la notion absurde du dualisme des sexes, voulant que l’homme et la femme représentent deux mondes antagonistes ».

« Je crois que quand une femme décide de s’émanciper, sa première déclaration d’indépendance consiste à admirer et aimer un homme pour les qualités de son cœur, et non pour le contenu de son porte-monnaie. Sa deuxième déclaration d’indépendance consiste à reconnaître qu’elle a le droit de se consacrer à cet amour sans se préoccuper des obstacles venus du monde extérieur. La troisième déclaration, la plus importante, est qu’une maternité est un droit absolu. » Ses actions en faveur de la maîtrise des naissances et des relations sexuelles libres et consenties lui valurent de nombreuses poursuites par les tenants du puritanisme qu’elle condamne farouchement dans un article.
De très belles pages sont consacrées à l’éducation dans un texte relatif au pédagogue espagnol Francisco Ferrer en lien avec Louise Michel et Paul Robin, pour « créer le seul milieu harmonieux où la plante humaine peut s’épanouir en une fleur exquise ».

Elle tient aussi des propos sévères à l’égard du régime soviétique. Les mots sont forts et constituent un des textes les plus lumineux sur la distinction entre l’anarchisme et le bolchevisme. « Puis vint Kronstadt. Ce fut le coup de grâce. Je réalisais finalement que la Révolution russe avait avorté. »

Désespérée, Emma Goldman ?? Ce serait mal la connaître. Toujours anarchiste !! « Seul l’anarchisme affirme l’importance de l’individu, de ses possibilités et de ses besoins dans une société libre. […] la liberté est donc la pierre angulaire de l’anarchisme. »

La liberté ou rien. Contre l’État, le capitalisme et le patriarcat,Emma Goldman. Ed. Lux, coll. Instinct de liberté, 2021

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Francis Pian, Le Monde libertaire, 17 janvier 2022.

Lisez l’original ici.

 

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