Les questions soulevées sont colossales : que faire face à l’inaction des pouvoirs publics, sans s’en remettre à une mobilisation écologique dont les résultats, depuis plusieurs décennies, restent peu visibles ? Comment une telle transition vers les énergies renouvelables sera-t-elle financée, par exemple pour remplacer les déplacements individuels par des transports collectifs moins consommateurs en énergie ? Quelles incitations pratiques développer pour convertir les administrations à de telles mesures ? Et puis comment lutter contre la force attractive du consumérisme capitaliste autrement qu’en invoquant des désastres potentiels ? Comment s’assurer que ces combats ne mobilisent plus seulement les mieux lotis ?
Le GND permettrait des créations massives d’emplois, liés aux investissements publics. L’initiative va donc au-delà de la simple décarbonation de l’économie ou d’une meilleure gestion des ressources naturelles : elle suppose une transformation de l’infrastructure des sociétés contemporaines (bâtiments, transports, réseaux électriques, etc.), dans un effort économique qui — pour une fois — ne serait pas défavorable aux classes populaires. Mais ce sont les effets politiques d’un tel programme qui retiennent surtout l’attention : il conduirait les vieilles nations industrialisées à régler leur dette climatique, non seulement en finançant la transition énergétique, mais en permettant aux pays en développement de sortir de la pauvreté, grâce à l’obtention de services publics de qualité (avec moins d’impact environnemental). Comme le montre Klein, si les émissions de l’Amérique du Nord et de l’Europe semblent avoir cessé d’augmenter, c’est surtout parce que celles-ci ont délocalisé dans un contexte de libre-échange dérégulé : les économies émergentes du Sud se trouvent ainsi responsables d’une grande partie de la hausse récente des émissions de gaz à effet de serre.
Reste que, avant de pouvoir refuser la consommation des énergies fossiles sur lesquelles toutes les sociétés industrielles, au Nord comme au Sud, s’appuient, il faut poser la question de la régulation de cette transition. Visiblement, le pari selon lequel une « prise de conscience planétaire » suffirait à modifier le rapport de forces a fait long feu. Alors, comment faire pour que les grandes puissances aient intérêt à réduire les gaz à effet de serre ? Et si la morale ne marche pas, comment faire en sorte que la raison écologique ne s’efface pas systématiquement face aux contraintes de la realpolitik ?
Alors que certains intellectuels se complaisent à l’idée que leurs ouvrages pourraient « mobiliser » (par exemple, contre l’« extractivisme ») et déclencher des protestations capables de changer le monde, le GND, en dépit de ses insuffisances, souligne la question de l’État et de la concurrence entre puissances. Loin de proposer une régulation qui atténuerait les déficiences des marchés, il pose surtout la question de ce que le géographe Matt Huber appelle des « ruptures stratégiques » permettant de constituer une base populaire susceptible de soutenir la mise en œuvre de politiques écologiques effectives et de grande ampleur.
(1) Naomi Klein, avec Rebecca Stefoff, Vaincre l’injustice climatique et sociale. Feuilles de combat à l’usage des jeunes générations, Actes Sud, Arles, 2021, 304 pages, 18,80 euros. [Au Québec: Comment tout peut changer. Outils à l’usage de la jeunesse mobilisée pour la justice climatique et sociale, Lux, Montréal, 2021, 320 pages, 24,95$.]
(2) Naomi Klein, Le Choc des utopies. Porto Rico contre les capitalismes du désastre, Lux, Montréal, 2019.