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7 juillet 2021

Une autre justice est-elle possible? Trois experts nous répondent

Les réformes s’enchaînent, mais notre système judiciaire n’est-il pas à revoir dans ses fondamentaux ? Le point avec trois spécialistes.

 

Gwenola Ricordeau est professeure assistante en justice criminelle à la California State University. Autrice de « Pour elles toutes. Femmes contre la prison » (éd. Lux, 2019).

Je suis pour l’abolition du système pénal

Si la question porte sur la justice pénale, la réponse est forcément « oui  » étant donné la diversité des manières dont les sociétés humaines ont résolu – et continuent encore de résoudre – leurs problèmes en dehors des procédures pénales, et sans l’aide des personnes dont c’est le métier (juges, avocats, policiers, surveillants de prison, etc.). Personnellement, je suis pour l’abolition du système pénal. L’une des critiques du courant abolitionniste, c’est que ce système met en œuvre une justice « rétributive » : elle « rétribue » une victime en infligeant une peine à un criminel. Opposées à la justice rétributive, se sont développées des pratiques de justice « restaurative » [qui consiste, par exemple, à faire dialoguer victimes et auteurs d’infractions, ndlr] ; puis de justice « transformative » [visant à changer le système dans lequel se produit le délit, ndlr]. Quant à savoir ce que serait une « autre justice pénale », ça n’a pas beaucoup de sens à mes yeux. Peut-on imaginer une justice et une police qui ne servent pas les intérêts du capitalisme, du racisme structurel et du patriarcat ? Je ne pense pas, et c’est bien pour cela que je suis pour l’abolition du système pénal, et donc de la prison et de la police.

Nils Monsarrat est secrétaire national du Syndicat de la magistrature.

La délinquance économique et financière a aussi besoin d’attention, de moyens et d’indépendance

Nous demandons une plus grande indépendance de la justice. L’exécutif a trop de poids dans les avancements de carrière. Nous réclamons aussi une augmentation des moyens et une réflexion pour repenser la place de la justice dans la société. Il faut qu’elle soit plus ouverte, que les citoyens puissent débattre, que la place des jurés dans les procès soit assurée. Il y a actuellement une tentative pour leur donner moins de place par souci d’efficacité. Nous, nous voulons une vraie réforme, en profondeur, qui permette de rétablir les priorités. Il faut arrêter de privilégier le pénal par rapport au civil, arrêter de privilégier la petite délinquance sur la voie publique, qui entraîne une comparution immédiate et qui concerne beaucoup de personnes qui n’ont pas de garantie de représentation (les étrangers, les SDF…). La délinquance économique et financière a, elle aussi, besoin d’attention, de moyens et d’indépendance. Certes, il y a eu des changements, par exemple sur les violences conjugales, on les fait passer de plus en plus en comparution immédiate, ce qui est à double tranchant. Il faut très vite protéger la victime, oui, mais un procès trop rapide peut être très mal fait. Les moyens alloués à la justice sont, aujourd’hui, médiocres. Pour vous donner une idée : ils parlent de créer une mission sur la haine en ligne. Et seuls deux à trois magistrats s’en occuperaient, c’est hallucinant !

Marc Bessin est sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, directeur de recherche au CNRS, et membre du conseil scientifique de la mission de recherche Droit et Justice.

Les pratiques suivent actuellement des logiques court-termistes et punitives

Au regard des évolutions actuelles et du débat politique, je ne suis pas sûr. Je suis plutôt pessimiste. Les pratiques suivent actuellement des logiques court-termistes et punitives, pour satisfaire l’opinion publique. Mais soyons utopistes : les éthiques du care, d’un point de vue philosophique, amènent à considérer que toutes les personnes sont vulnérables. Elles induisent une logique d’interdépendance, et nous aident à réfléchir à une autre conception de la justice. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays a vécu une crise sans commune mesure, mais ça a permis l’émergence de grandes lois sociales, comme l’ordonnance de 1945 pour la justice des mineurs. On a décidé que les jeunes justiciables devaient être protégés et éduqués. Les faits qui leur étaient reprochés devaient être appréhendés au regard de leur parcours et de leurs perspectives, la punition étant à appliquer avec une dimension d’empathie et d’éducation. Cette philosophie éducative était inspirée du mouvement de la défense sociale qui préconisait l’individualisation de la peine, sans d’ailleurs la limiter aux mineurs. C’est une voie pour penser une justice qui s’imprègne des enjeux du passé et du futur.

Néon Magazine, février-mars, 2021

Photo: Clay Banks/Unsplash

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