Serge Bouchard, l’écrivain
Anthropologue, homme de radio, conférencier… Serge Bouchard, qui nous a quittés cette semaine, a fait beaucoup de choses dans sa vie. Mais il était avant tout un écrivain. Seul ou avec Bernard Arcand et Marie-Christine Lévesque, il a publié de nombreux essais, des recueils et même des bestiaires. Nous nous sommes entretenue avec ses deux principaux éditeurs, Mark Fortier et François Ricard.
Mark Fortier est l’éditeur du dernier livre de Serge Bouchard, Du diesel dans les veines – La saga des camionneurs du Nord, sa thèse de doctorat remaniée qui vient de paraître chez Lux. « La dernière fois que je l’ai vu, c’était pour lui donner le livre, raconte Fortier, ébranlé par la disparition soudaine de son auteur. Le lendemain il rentrait à l’hôpital. On avait encore plein de projets ensemble. »
Fortier rappelle que Serge Bouchard est venu à l’écriture par cette thèse.
«Ensuite, il a écrit sur sa première femme, Ginette, pour se faire du bien. Il avait une âme littéraire. C’était un écrivain qui touchait à la dimension poétique de l’écriture. Il avait une relation aux mots saturée d’images.»
– Mark Fortier, éditeur
François Ricard, qui était l’éditeur de Serge Bouchard aux éditions du Boréal, partage cet avis. « Serge avait plusieurs cordes à son arc, souligne-t-il, mais j’ai toujours dit que c’était avant tout un écrivain. Il y avait une justesse dans ses textes, un regard, des formules surprenantes. Ce n’était jamais fabriqué. Or ça a pris du temps avant qu’il soit reconnu comme tel. Il a remporté le Prix du Gouverneur général pour Les yeux tristes de mon camion il n’y a pas si longtemps, en 2017… ».
« C’était un essayiste comme il y en a peu au Québec », poursuit Ricard, qui avait fait la connaissance de Bouchard par l’entremise du cinéaste Denys Arcand. « Il a souvent dit que son maître était Montaigne, et c’était un de ceux au Québec qui pratiquaient l’essai dans sa forme la plus pure. J’ai commencé par éditer la série Les lieux communs qu’il écrivait avec Bernard Arcand et ces deux-là ne faisaient pas de la prose plain et banale. Ils aimaient se lancer des défis : écrire sur des sujets comme le béton, le pâté chinois… Bernard, c’était le penseur un peu détaché et ironique, et Serge, le poète avec une sensibilité. »
Un auteur fidèle
Serge Bouchard n’avait pas un ni deux, mais bien quatre éditeurs. « C’était un auteur très productif, il avait toujours quelque chose en chantier, il était très discipliné et il écrivait tout le temps », souligne François Ricard.
C’était aussi un auteur très fidèle. « Il a publié le recueil de ses chroniques du magazine Québec Science, L’œuvre du grand lièvre filou, aux éditions MultiMondes parce que le directeur littéraire, Raymond Lemieux, est l’ancien rédacteur en chef du magazine, observe François Ricard. Et il avait publié ses bestiaires aux éditions du passage où Marie-Christine avait été éditrice. »
«J’aurais bien sûr tout pris ce qu’il écrivait, mais je respectais cette fidélité.»
– François Ricard, éditeur
Même son de cloche du côté de chez Lux où on salue, aussi, la fidélité de Serge Bouchard pour ses différents éditeurs. « Chez nous, il publiait ses livres plus scientifiques, note Mark Fortier qui a commencé à publier l’anthropologue avec sa série De remarquables oubliés. Ses textes plus littéraires lui venaient plus facilement, mais les livres avec un fondement historique étaient des entreprises ambitieuses qui représentaient une montagne pour lui. Quand il commençait un de ces projets, il savait qu’il allait souffrir. »
Avec Marie-Christine Lévesque, il formait non seulement un couple soudé, mais un tandem professionnel très efficace. « C’était toujours très agréable de travailler avec eux, affirme Mark Fortier. C’était des gens brillants, pas orgueilleux, qui voulaient d’abord et avant tout servir le texte. »
Un écrivain aimé
Les livres ont permis à Serge Bouchard de prononcer beaucoup de conférences sur toutes sortes de sujets allant des autochtones à la mort. Dans les salons du livre, il attirait les files de lecteurs et lectrices. L’avalanche de témoignages depuis l’annonce de sa mort montre à quel point son capital de sympathie était immense.
« Il avait un vrai lien avec les lecteurs, un attachement affectif », note François Ricard.
« Il rendait les gens fiers, estime pour sa part Mark Fortier. Il ne disait pas toujours des choses gentilles, mais il aidait à se réconcilier avec des choses irréconciliables. De Justin Trudeau aux anarchistes, tout le monde a salué son départ mardi. Peu importe ce dont il parlait, il en parlait avec bienveillance. Il faisait du bien aux gens. »
Nathalie Collard, La Presse, 16 mai 2021.
Photo: FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE. Serge Bouchard chez lui, à sa table de travail, en 2018
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