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28 février 2021

Une amitié à toute épreuve

Il était une fois deux amis qui ne s’entendaient pas sur le plan politique. Ils appartenaient tous deux à la même classe aisée de Canadiens français d’avant la Révolution tranquille, habitaient la même banlieue cossue de Montréal, Outremont, et fréquentaient les mêmes institutions d’enseignement d’élite, dont la faculté de Droit de l’Université de Montréal, où ils deviendront avocats. Si tous deux s’entendaient sur la nécessité de sortir le Québec de la grande noirceur, ils divergeaient sur les moyens à prendre pour y parvenir. L’un était indépendantiste, l’autre fédéraliste. L’un consacrera une grande partie de sa vie à défendre les travailleurs au sein d’une centrale syndicale, la CSN, l’autre deviendra premier ministre du Canada en 1968. 

Comment une telle amitié a-t-elle pu se maintenir pendant des décennies, alors qu’un véritable fossé idéologique séparait les deux hommes, se questionne Jean-François Nadeau dans la présentation de l’ouvrage ? Car Pierre Vadeboncoeur et Pierre Elliott Trudeau ont été tour à tour des alliés puis des opposants notoires. 

Malgré tout, il arriva plus d’une fois à Vadeboncoeur de défendre son ami qu’on accusait injustement, disait-il, d’être pédant, mesquin et hautain. « Il était au contraire charmant, attentif, sans prétention, et les gens, tout naturellement, l’aimaient. » Cela se passait bien avant que Trudeau ne fasse le saut en politique en joignant les rangs d’une formation politique, le Parti libéral du Canada, qui n’avait à peu près rien à voir avec le CCF, l’ancêtre du NPD, où Trudeau avait milité à la fin des années 1940 et au début des années 1950.

Vadeboncoeur et Trudeau ont été des hommes bien ancrés dans leur époque. Rien, du côté familial, ne les prédestinait à afficher des idées de gauche et à prendre le parti des travailleurs malmenés. On les verra même, en 1936, participer à une manifestation pour dénoncer le jeune médecin Norman Bethune, qui cherchait des appuis au gouvernement républicain espagnol aux prises avec une guerre civile fomentée par le général Franco, qu’appuyait un monstre encore pire, Hitler. Vadeboncoeur et Trudeau n’hésitaient pas alors à accorder leur soutien aux dictateurs Mussolini, Salazar et Franco, au nom de l’autorité légitime de l’Église catholique. « Ils clamaient, de dire Nadeau, leur refus de toute pensée qui remettrait en question la primauté absolue du religieux sur les affaires civiles. » Nadeau ajoute même que Vadeboncoeur et Trudeau regardaient « plutôt d’un bon œil, dans la France soumise par la défaite, le vieux maréchal Pétain se porter au chevet de son pays, au nom de la famille, du travail et de la patrie, un idéal partagé ici aussi par les milieux nationalistes. » On est loin des idées progressistes et socialistes qu’on retrouvera plus tard sous leurs plumes respectives dans la revue Cité libre.

On les retrouvera, unis à nouveau, dans leur lutte contre la « grande noirceur », à laquelle participeront bon nombre d’intellectuels. Les temps ont changé, Vadeboncoeur et Trudeau ont pris le train en marche. Désormais, il n’est plus question d’appuyer aveuglément l’autorité religieuse.

Petit à petit, cependant, leurs chemins divergeront. Le syndicaliste Vadeboncoeur appuiera le Parti québécois de René Lévesque, tandis que le premier ministre du Canada Trudeau prendra la manière forte pour tenter de mettre au pas ce Québec qui veut s’affranchir de la tutelle d’Ottawa.

Cette amitié si particulière expliquerait-elle que Vadeboncoeur n’ait pas été arrêté lors de la grande rafle d’octobre 1970, en compagnie de centaines d’écrivains et d’artistes ? se demande Nadeau.

Quoi qu’il en soit, cette correspondance, admirable à bien des égards, est une belle occasion de revisiter l’histoire sociale et politique des cinquante dernières années, à travers le cheminement personnel de deux personnages qui nous prouvent que l’amitié vraie a ses vertus et ses pouvoirs qu’il est important de cultiver.

Jacques Lanctôt, Le Journal de Montréal, 28 février 2021.

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