«1312 raisons d’abolir la police»: bye bye la police!
La diffusion, le 7 janvier dernier, des vidéos de l’interpellation fatale à Memphis de Tyre Nichols, un Afro-Américain de 29 ans, n’a pas seulement semé toute une commotion. Elle a aussi remis à l’avant-plan les violences policières, et ce, près de trois ans après la mort de George Floyd, étouffé pendant neuf minutes sous le genou du policier Derek Chauvin. Autant d’événements ultramédiatisés qui s’ajoutent à une série de bavures plus discrètes, mais faisant régulièrement resurgir la question de plus en plus récurrente de l’abolition pure et simple de la police aux États-Unis, mais aussi ailleurs en Occident.
Cette question d’en finir avec les forces de l’ordre, l’ouvrage collectif 1312 raisons d’abolir la police la prend à bras-le-corps en s’interrogeant, entre autres, sur le véritable rôle de l’institution qui souffre aujourd’hui de nombreux maux. Dirigé par la militante française Gwenola Ricordeau, professeure de criminologie à l’Université d’État de Californie à Chico, l’essai brosse un portrait du mouvement pour l’abolition de la police, une « position politique » qui prend davantage de visibilité dans le débat public depuis le mouvement Black Lives Matter, ne se cantonnant plus aux marges des théories de gauche jugées extrêmes.
Gwenola Ricordeau ne se gêne d’ailleurs pas pour exprimer son aversion de la police. Les chiffres « 1312 » du titre correspondent à la traduction numérique de l’acronyme ACAB — All Cops Are Bastards (« tous les flics sont des bâtards ») —, slogan de la rue contestataire qui connaît en ce moment une grande popularité. « Dans une société capitaliste, raciste et patriarcale, choisir le camp des opprimés, des exploités et des tyrannisés, c’est compter la police parmi ses ennemis », écrit Ricordeau dès la première page de l’ouvrage, avant d’exposer les raisons de cette détestation, la principale visant le rôle intrinsèque de la police, qui est selon elle de maintenir des formes d’inégalités, qu’elles soient raciales, sociales ou même sexuelles.
Celle qui est déjà l’autrice d’un livre sur le féminisme abolitionniste, Pour elles toutes. Femmes contre la prison (Lux, 2019), présente une flopée de textes de contributeurs abolitionnistes aux parcours variés (sociologues, militants, travailleuses du sexe, enseignants ou experts) qui ne voient pas la punition comme une solution. Ils analysent au contraire les imbrications complexes entre la police et les institutions qu’ils estiment répressives.
Bien que certains pourraient reprocher la radicalité des propos, la proposition concise par la forme a le mérite d’aller au fond de la réflexion. L’ensemble se présente en trois grandes parties : rompre avec le réformisme, construire l’abolition et enfin lutter contre la police. Comme l’évoque le militant et professeur Dylan Rodriguez dans son texte, la police n’aurait plus pour objectif d’assurer la sécurité des citoyens, mais ne serait au fond que le bras armé de l’État en maintenant l’ordre raciste, patriarcal, capitaliste. La réformer serait donc inutile puisque cela ne modifierait pas sa nature et sa fonction, souligne-t-il. Une idée partagée par le Canadien Kevin Walby, professeur de justice criminelle à l’Université de Winnipeg, qui appelle dans les pages de l’ouvrage à définancer complètement la police au Canada en réinvestissant l’argent dans l’éducation, les logements sociaux et la santé mentale.
Ismaël Houdassine, Le Devoir, 11 février 2023.
Photo: Jessica Bartlet
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